Chapitre 9 - 𝐄𝐬𝐩𝐨𝐢𝐫

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J'avais imaginé beaucoup de manières dont j'allais découvrir la mort de ma mère. Le scénario qui me hantait le plus était celui de la retrouver sans vie dans son lit, en me réveillant un matin après mes nuits d'études, ou en revenant d'un voyage dans les contrées voisines. Ces visions me donnaient froid dans le dos. Mais dans aucunes d'entre elles je n'avais vu ma mère se transformer en une créature violente, informe et maléfique. Pourtant, c'était bel et bien ce qui c'était passé. Je n'avais même pas eu le temps de lui dire au revoir, ni à elle, ni au monstre rougeoyant en lequel elle s'était transformée.
Ces pensées tournaient en boucle dans ma tête, jusqu'à-ce que je voie la porte de la maison s'ouvrir. Link apparut dans le cadran de la porte, portant à bout de bras plusieurs fagots de bois. Il les déposa à l'entrée, frotta ses mains entre elles et se retourna vers moi. J'essuyai rapidement mes yeux gonflés. Nous échangeâmes quelques mots. Link avait l'air peiné pour moi. Il ne savait pas quoi dire, et moi non plus. Je le regardai préparer le feu de bois, sortir le matériel de ses poches. Il se mit à frapper deux silex entre eux, provoquant des étincelles, mais celles-ci ne prenaient pas sur le bois. Ses gestes me semblaient justes, mais il dirigeait la pointe du silex du mauvais côté. Au bout d'un énième essai, il inspecta les pierres, fronçant les sourcils, avant de lever les yeux vers moi.

– T/P, je suis désolé de te devoir te demander ça, mais... est-ce que tu peux m'aider ?

Je m'extirpai de mon lit et m'assis en tailleur à côté de Link. Il me tendit les silex, l'air penaud. J'entrechoquai les pierres quelques fois. Un début de feu se mit à grésiller timidement. Lorsque je vis la tête ahurie de Link, pour la première fois depuis plusieurs jours, je sentis un sourire me monter aux coins des lèvres.

– Tu dois frapper la pierre vers le bas, pas vers le haut, Link, dis-je en lui tapotant l'épaule. Mais c'est bien, tu y étais presque.

Link se claqua la main contre le front. Ses oreilles étaient un peu rouges.

– Ça fait cent ans que j'avais pas fait de feu, tu m'excuseras, marmonna-t-il en travaillant la flamme avec une branche.

Je ris doucement, sentant mon cœur s'alléger. L'odeur de feu de bois commençait à s'installer dans la pièce. Bientôt, la douce chaleur des flammes vint lécher mes doigts glacés. Link se mit à fouiller dans son sac. Comme chaque soir depuis l'horrible nuit de notre arrivée, il était allé chercher de la nourriture dans les bois d'à côté. Je n'avais pas réussi à manger grand chose jusque-là, incapable de toucher à la viande. Le souvenir de la chair sanguinolente de la créature me revenait chaque fois en mémoire. Je me limitais donc aux baies et aux noisettes. Mais ce soir-là, j'étais particulièrement intéressé de voir ce que Link avait déniché.
Mon ventre produit un son terrifiant lorsqu'il étala ses victuailles devant moi. Link avait fait une sélection de champignons de toutes sortes.

– Wow, Link... Mais où est-ce que tu as trouvé tout ça ?

– Ah-ha ! Je savais que ça allait te plaire, dit-il, l'air satisfait. Eh bien, je suis juste allé chercher dans toutes les forêts aux alentours.

– Toutes les forêts ? répétai-je. Ça fait beaucoup... Tu n'étais pas obligé de te donner autant de peine, tu sais.

– Je sais bien, sourit-il. Mais j'avais envie de te faire plaisir.

Une vague de chaleur passa à travers mon corps, remontant jusqu'à mon visage. J'eus du mal à trouver une réponse. Heureusement, Link reprit la parole, commençant à nettoyer les champignons dans le réchaud.

– C'est dur de te voir aussi triste, T/P. J'avais un peu peur que tu aies perdu ta joie de vivre, ta curiosité et ton appétit pour de bon.

Il me lança un bref regard, concentré sur son travail.

– Heureux de voir que tout est encore là.

Je hochai la tête, comme s'il avait encore les yeux posés sur moi. J'étais aussi rouge que le champignon d'Hyrule que Link s'apprêtait à trancher. Link prépara les brochettes et les fit griller au-dessus du feu.
C'était un vrai délice. Je me remplis la panse à toute vitesse, ce que Link trouva amusant. Une fois rassasié, je poussai un soupir de soulagement et remerciai Link pour le repas. L'odeur de nourriture flottait encore dans les airs, et nous étions tous les deux un peu somnolents.

– Merci pour le repas et... merci d'être resté, Link.

Le châtain me regarda de ses yeux bleus profonds. Je me sentis particulièrement vulnérable en cet instant, pour une certaine raison. Les mots tombèrent de ma bouche tous seuls.

– Je ne sais pas comment j'aurais fait si j'avais été seul face à ça.

Tout à coup, mes yeux me piquaient.

– Je n'arrive pas à croire qu'elle soit partie comme ça, dis-je, ravalant mes larmes.

Les images de mon cauchemar me revenaient inlassablement, puis la rencontre du monstre qui s'était formé à partir du corps de ma mère. Je ne pus retenir mes sanglots plus longtemps. Link se rapprocha de moi. Sans dire un mot, il passa son bras autour de mes épaules. Je frissonnai en sentant la chaleur de son corps se presser contre moi.

– Je ne me souviens ni d'avoir vécu de deuil, ni d'avoir eu une mère, me dit-il à voix basse. Mais je peux imaginer à quel point c'est effrayant de perdre quelqu'un d'aussi important.

Je reniflai, laissant les larmes couler librement sur mes joues.

– C'est comme perdre tout ses repères, ajouta-t-il. Et ce sentiment, je le connais que trop bien.

Link me confia la peur qu'il avait ressentie en se retrouvant seul sur le Plateau, des jours durant. La voix le guidait, mais quand elle se taisait, il ne lui restait plus rien. Il lui restait seulement lui-même, son esprit transi par la peur, lâché dans un monde où il ne trouvait aucune attache.

– Malgré tout, j'ai continué à avancer. J'ai même rencontré mon sauveur sur le chemin.

Il me donna un petit coup de coude dans les côtes. Je me retournai pour le regarder. La lumière rouge dansait sur son visage.

– C'est comme tu disais l'autre jour, me rappela-t-il. Si j'ai réussi à le faire, alors tu en seras capable aussi.

Un peu apaisé par ses mots réconfortants, je me redressai.

– Oui, je vais surmonter ça, dis-je, sentant un regain d'espoir me gagner. Il le faut.

Link retira son bras et me sourit avec chaleur.

– Je t'aiderai, déclara-t-il.

Un flot de joie déborda dans mon cœur à l'idée de pouvoir compter sur lui.

Le souffle de l'aventure【Link x Reader♂】BOTW Où les histoires vivent. Découvrez maintenant