Le premier hôte (2)

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À midi, Domoto avait abordé Steve Blake avant qu'il n'aille prendre sa pause, pour lui faire une proposition. A midi et demi, ils étaient dans la voiture de Blake.

- Vous avez fait votre Double Connexion ?

Immobile, les mains sur le volant, Blake regardait son supérieur avec appréhension. Perplexe face à sa question et sa proposition douteuse, il bégaya :

- Oui... Bien sûr.

- Vous pourriez essayer de localiser l'agent Perkins ?

Blake trouvait cette situation de plus en plus étrange. Mais peut être pas si déplaisante. La promotion et la réussite pointaient au bout, il ne pouvait pas se permettre de refuser. Le président lui avait proposé un job secret à durée indéterminé, en échange d'un petit avantage professionnel. Et prendre la place de Perkins, il ne demandait que ça.

Le président la suspectait, c'était évident. Depuis qu'elle avait été mise sur cette affaire d'opposant assez mystérieuse, tout avait été chamboulé. Richard était sur les nerfs en permanence, le président n'avait jamais été aussi présent au poste... Et puis le plus marquant. La mort de Judith.

Blake serra les dents. L'enterrement était prévu dans une semaine. Il ne savait pas s'il aurait le courage d'y aller.

- Blake ?

Le regard orange du président assis à sa droite le ramena à la réalité.

- Bien... Bien sûr je vais essayer.

Les mains toujours aussi crispées sur le volant, il focalisa son regard sur le pare brise et le parking en face du poste. Tout autour de lui se brouilla. Brun cherchait, mais son hôte semblait soumis à une barrière. D'habitude il arrivait à trouver n'importe qui avec une facilité déconcertante. Mais pour la première fois, quelque chose semblait l'en empêcher.

- Je ne trouve rien, affirma Brun dans son esprit.

- Je... Non je ne la trouve pas, répéta Steve à voix haute pour son président.

Celui ci souffla entre ses dents et se remit au fond de son siège, face à la route.

- Démarrez, je pense savoir où elle est.

- Comment cela se fait-il que je ne puisse pas la localiser ?

Steve tourna la clé dans le contact et le moteur de la voiture noire vrombit. Il s'était permis cette question car il décretait avoir le droit de savoir, et il était aussi très perturbé.

- Vous posez trop de question Blake. Pensez plutôt à la satisfaction que vous aurez lorsque vous aurez enfin un alibi pour destituer Perkins, soupira Domoto.

Cela suffisait à Steve qui s'engagea sur la route.

La voiture noire se gara à quelques mètres de la vieille bâtisse branlante. Elvis se demandait toujours d'où son frère avait déniché cette ruine.

- Où sommes nous ?

- Chez une connaissance. J'ai des questions à lui poser.

Il fit signe à Steve d'entrer sans frapper. Lui, resta sur le pas de la porte quelques secondes. Balayant l'horizon du regard, il ne vit que la bruyère mauve et jaune balayée par le vent. Comme ce jour là en haut de la colline, lorsque le sol avait tremblé et qu'il était tombé au fond de cette crevasse. Qu'il s'en était sorti, avec un genoux cassé et une côte fêlée. Que son frère avait encore tenté de s'ouvrir les veines. Qu'il avait pleuré, encore et encore, comme toujours depuis deux ans. Depuis que son frère avait décrété qu'il voulait quitter cette terre, l'abandonner.

Il entra. Steve ne bougeait pas sur le palier, la main près de sa veste noire, il se mettait en position au cas où il devrait saisir son arme. Mais ce n'était pas la peine.

- Comment vas tu mon frère ?

Elvis s'avança calmement dans le salon. Tout sentait le moisi et le renfermé. C'était la maison d'un homme qui n'y avait pas vécu mais souffert. Il le méritait. Un rat parmi les ordures.

- Encore mieux que la dernière fois.

- Tant mieux. La dernière fois remonte à un quart de siècle.

Elvis toisa son frère de toute sa hauteur. Reproche ? Cynisme ? Il ne saurait dire. Ce vieillard qui autrefois avait été son frère souriait bêtement tirant un peu plus son visage ridé. Il était risible, pathétique.

- Et pourtant tu as eu de la visite entre temps.

Solly baissa la tête.

- Très peu de gens connaissent mon existence tu sais.

- Depuis que papa est mort tu n'as pas dû voir grand monde.

Solly Domoto était terré dans cette bâtisse depuis trente ans, subventionné par l'argent que lui versait Elvis depuis trente ans. Leur mère était morte dans le Grand Tremblement. Elvis n'avait jamais pu savoir si elle l'aurait soutenu dans son projet des hôtes. Son père l'avait fait. Il en avait plus qu'assez de voir son fils aîné faire une tentative de suicide à chaque occasion. Lorsque Solly et Elvis s'étaient disputés, leur père s'était rangé du côté d'Elvis, le soutenant dans tous ses projets et ses rêves de grandeur et de conquête. Puis il était mort, dix ans après.

- Papa n'est jamais venu me voir.

Leur mère aurait été la seule personne susceptible d'avoir encore un peu de pitié pour ce fils que tous avaient tenté de sauver, mais qui ne témoignait aucune reconnaissance. Malheureusement pour lui, elle était morte bien avant.

- Tu as vu la fille ?

Solly sourit de toutes ses dents cette fois ci.

- Cette enfant va enfin te remettre à ta place, toi et tes idées trop grande pour un être aussi faible. Je te connais Elvis. Je t'ai éduqué. Tu finiras par craquer.

Le président fut pris d'un rire nerveux. Steve derrière lui, assistait à la scène, abasourdis, sans piper mot.

- Tu as tout fait pour m'abandonner. Alors oui j'avais besoin de toi, oui j'étais faible. Faible comme un gosse qui voit son frère a l'hôpital tous les mois. Faible comme un gosse qui se sent rejetté par un frère qui ne veut plus être avec lui.

Solly soupira. Ils avaient la même dispute qu'il y a trente ans.

- Tu n'as pas su respecter mes choix. Au lieu de m'apaiser, tu m'as fait endurer une vie pleine de souffrance.

Solly était suicidaire depuis très longtemps. Maigrichon, le visage très peu harmonieux, il avait très tôt été harcelé à l'école, peu soutenu par son propre père qui ne voyait aucun potentiel en lui, rejetté par beaucoup qu'il considérait comme des amis. Il n'était pas bien dans sa peau, il ne l'avait jamais été. Et même en le forçant à vivre une vie dont il ne voulait pas, il n'avait pas réussi à s'accepter.

- Je serai peut être là pour assister à ta chute au final, petit frère.

- Ça je n'en suis pas sûr.

Domoto s'était retourné. Rapide, il saisit le pistolet dans la poche intérieure du costard de Blake.

- Que...

Le policier à la tignasse blonde bien coiffée en arrière ne sut pas comment réagir.

- Je vais faire ce que tu méritais depuis longtemps.

Elvis n'était pas hésitant dans son geste. La colère et la tristesse dans son esprit se repercutèrent jusqu'à son bras. Il ne savait pas s'il le punissait ou s'il le libérait. Une partie de lui voulait encore racheter la faute qu'il avait commise en le forçant à fusionner.

- Enfin.

Solly avait toujours un sourire peint sur le visage. Même lorsqu'il s'effondra brutalement à terre.

L'ANTI-HÔTE [Partie 1] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant