CHAPITRE ONE

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MARINA


Ce sont des bruits de pas ?!


Je me tétanise devant la porte de mon bureau fermée à clé, je fixe la poignée  comme si elle était contaminée à l'anthrax.

Mes employés n'auraient pas osé. Ils savent que mon bureau, c'est sacré. Et mes parents sont en Floride, à plus de mille cent kilomètres de là, ils vivent leurs vie de retraités grâce au chèque mensuel que je leur envoie sur les maigres profits de la distillerie. J'ai dû mal à joindre les deux bouts, même après que générations se sont échinées à produire du whiskey irlandais à La Nouvelle Orléans.

Ce sous-sol n'est pas hanté. Ce sous-sol n'est pas hanté.

Je me répète cette phrase comme un mantra, jusqu'à ce que mon rythme cardiaque retrouve un semblant de calme. Le fantôme de feu mon mari n'a pas intérêt à débouler, parce que le ciel m'en est témoin, si c'est le cas, je tuerai Brett à nouveau moi-même. En invoquant la volonté de fer qui m'a été nécessaire pour sortir cette entreprise de l'ornière j'attrape la poignée, j'ouvre la porte d'un grand coup et je me rue à l'intérieur en tentant de profiter de l'effet de surprise. Ou d'un semblant de courage. Ou... De quelque chose.

- On essaie de faire une entrée remarquée ?

La voix grave qui monte des ténèbres me glace jusqu'à la moelle. Je ne l'ai entendue qu'une seule fois jusque-là, à travers cette épaisse porte de bois fermée par laquelle je viens de faire irruption, mais elle proférait des menaces que je n'avais pas comprises. Elle ne posait pas de questions sur ce ton cool et parfaitement contrôlé.

Je ne veux absolument pas me retrouver dans le noir avec cette voix.

Ce n'est pas celle d'un fantôme. C'est bien pire.

C'est un putain de monstre dont on parle à voix basse, mais qu'on ne mentionne jamais dans la bonne société, comme si le simple fait de dire son nom allait le faire apparaître. Et personne n'en à envie. Je ne l'ai jamais prononcé. Je ne veux même pas y penser, mais mon cerveau le fait pour moi de toute façon.

Lachlan Mount.

A talon, je cherche l'interrupteur sur le mur en béton, mais quand j'appuie dessus, il ne se passe rien. Oh doux jésus ! Je vais mourir et je ne verrai même pas la mort arriver.

Ma vieille lampe de bureau cliquette, sa lumière tamisée éclaire mon bureau. J'aperçois d'abord ses mains larges, puis ses avant-bras hâlés aux manches blanches roulées. La lumière n'atteint pas son visage.

- Fermez la porte, Mademoiselle Denora.

Il connaît mon nom. En ravalant ma salive, j'avance la main comme pour répondre à son ordre. Je cherche la poignée derrière moi bien que je n'aie qu'une envie, fuir à toutes jambes. Chez les flics. Peut-être pourraient-ils... je ne sais pas. Me sauver ?

Je jette un coup d'œil derrière moi en saisissant la poignée alors que la porte se referme en grinçant. Mon envie de fuir augmente au fur et à mesure que la faible lumière du couloir disparaît.

- Faites ne serait-ce qu'un pas vers cette direction, et ce sera la fin. Vous perdrez tout.

Mes pieds se figent sur le sol de ciment craquelé, la sueur se met à perler entre mes seins. En temps normal, j'aurais attribué ça à l'état que déclenchent les alambics de whiskeys, qui ressemble étrangement à celui que procure une séance de sauna, mais pas ce soir.

- Que voulez-vous ? ai-je alors faiblement murmurer. Que faites-vous donc ici ?

La chaise craque lorsqu'il se lève. Ses doigts épais reboutonnent sa veste, mais son visage reste toujours dans la pénombre.

- Vous avez une dette envers moi, Mademoiselle Denora, et je suis venu l'encaisser.

- Une dette ?

Je tente de comprendre comment diable je pourrais bien lui devoir de l'argent. Je ne l'ai jamais rencontré. Putain je ne l'ai jamais rencontré, j'ai juste entendu sa voix, une fois, quand j'écoutais aux portes. Les filles de mon genre ne fraient pas avec des hommes comme lui, enfin, la plupart des filles de mon genre. Certaines rumeurs ont circulé, on a raconté qu'il aurait pris comme maîtresse Richelle Lafleur, une fille de notre église, jusqu'à ce qu'elle disparaisse, il y a un an de ça. Je repousse résolument cette pensée. J'arrive malgré tout à lui demander :

- Que voulez-vous dire ?

Avec deux doigts, il repousse un document intitulé Reconnaissance de dette dans le rond de lumière, sur le plateau en bois tout rayé de mon bureau. Je fixe le document, je suis trop paniquée pour faire le moindre pas dans sa direction.

Oh mon Dieu, Brett, qu'as-tu fait ?

Mon coeur bat violemment contre mes côtes.

- Vous ne souhaitez pas connaître la somme que votre mari a emprunté en hypothéquant cet endroit ?

- Combien ? je demande, en avançant un peu vers lui malgré moi.

- Un demi-million de dollars.

J'en ai le souffle coupé.

- Vous mentez.

Les deux mains posées sur le bureau, il se penche en avant, exposant ainsi son visage à la lumière blafarde. Ses traits sont durs, comme taillés dans le granit, ses yeux noirs sont perçants, son regard implacable contraste avec le style relativement civilisé de son costume, qui lui va à la perfection.

- Je ne mens jamais.

Un demi-million de dollars ? C'est impossible.

- Je l'aurais su si Brett avais emprunté une telle somme, et je vous le répète, il ne l'a pas fait.

Il hausse les épaules, comme si cette information n'avais pas la moindre importance pour lui. Et peut-être est-ce le cas.

- Sa signature le prouve bien, et cette dette reste impayée.

Mes yeux se concentrent sur les papiers posés sur mon bureau. S'il a réellement fais ça... ce serait catastrophique. Quatre générations de Denaro on consacré tous leurs espoirs, leurs rêves et leur fortune à consacrer vivant cet héritage. Il est impossible que tout ça s'arrête avec moi.

- Je n'ai pas cet argent.

- Je sais.

Sa réponse me fait reculer.

- Alors, pourquoi...

Il sort de la lumière et se dirige vers moi. Je me plaque contre le mur au fur et à mesure qu'il avance en me bloquant la voie, m'interdisant ainsi toute retraite. Il n'y a plus de fuite possible. Il m'a piégée.

- Parce qu'il y a quelque chose que je pourrais accepter en échange.

J'ai un mal de chien à parler d'une voix calme, mon coeur menace d'exploser dans ma poitrine.

- Quoi ?

Il s'arrête à un pas de moi, ses lèvres pleines forment un mot, un seul :

- Vous.

LE ROI SANS PITIEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant