MARINA
Je ferme la porte à clé et je m'appuie contre le panneau de bois dès qu'il s'est refermé derrière lui. Tout mon corps tremble comme si je venais de rencontré l'Antéchrist. Tout ce qui reste de Lachlan Mount dans mon bureau, c'est son parfum faussement séduisant, une explosion intense d'agrumes mélangés aux épices et au cèdre, et ma peur panique. Je ne peux oublier la reconnaissance de dette. Mon regard papillonne en direction de mon bureau. Ce doit être faux. Brett n'a pas pu emprunter cinq cent mille dollars en hypothéquant la distillerie, il n'a pas utilisé cet argent pour aucun des travaux d'amélioration que j'ai réalisés. Chaque dollar investi dans cet endroit provient des grands numéros de cirque que j'ai faits auprès de chaque banquier de cette ville. Je suis endettée jusqu'au cou, ou du moins, je l'étais. A présent, je suis noyée sous les dettes.
Lachlan Mount.
Je ferme les yeux et redresse le menton en maudissant intérieurement mon mari décédé. Mon père dirait sans doute que je ferais mieux de fouiller le sol du regard pour y trouver son âme.
Comment as-tu pu me faire ça, espèce d'enfoiré ?
Cet dette... cet homme... c'est le dernier clou dans le fameux cercueil de Brett. Comment ai-je fait pour ne pas m'apercevoir de qui il était ? L'Autoflagellation me submerge pour la millième fois. C'est comme un mauvais téléfilm que je ne peux m'empêcher de passer et repasser. J'ai crû à son baratin. J'ai pensé que nous allions reconstruire l'empire familial. J'ai été assez idiote pour proposer de nous marier en cachette, parce que j'étais certaine que c'était lui le bon. Mais je me suis vite rendu compte qu'il n'était qu'un trou du cul d'opportuniste qui me trompait avant même que nous soyons mariés, et qui s'est mis à vider le compte bancaire de la distillerie dès qu'il y a eu accès. Je frappe du plat des mains la solide porte en chêne derrière moi.
- Va chier, Brett. Va. Chier.
Je respire un grand coup, j'ouvre les yeux et je me redresse. Mon moment d'apitoiement est terminé. Je viens tout juste de passer trois mois à gérer les retomber de sa mort, un mois de plus que la durée de notre mariage, et u moment où je pensais avoir enfin repris pied...
Lachlan Mount fais son apparition.
Je regarde une fois de plus le document posé sur mon bureau. Le bureau que mon arrière-grand-père a apporté par bateau d'Irlande, auquel il était assis lorsqu'ils ont signé le tout premier contrat de location du terrain de la distillerie Seven Sinners. Ils étaient sept frères, et leur optimisme quant au marché du whiskey avait été indéniable. J'avais cru m'être enfin prouvé que j'étais digne de m'asseoir à ce bureau lorsque mon père avait consenti à me laisser lui racheter l'affaire. J'étais tellement fière d'être la première femme à prendre les commandes d'une distillerie qui produisait le meilleur whiskey qui soit dans la grande tradition Irlandaise à La Nouvelle Orléans, là où notre famille s'était enracinée et avait prospéré, même pendant cette saleté de Prohibition. Une partie de moi aurait aimé vivre à cette époque d'anarchie. Où la raison du plus fort était la meilleure et où un homme, ou une femme, pouvait grimper ou tomber suivant l'envie qu'il ou elle avait de travailler plus ou moins dur. Mais, là encore, je pouvais très bien imaginé Lachlan Mount éliminant tous ses concurrents à la mitraillette. Sauf que c'était probablement ce qu'il faisait maintenant. En réalité, je me demandais bien comment nous avions réussi à lui échapper aussi longtemps, mais visiblement la chance a tourner.
J'ai pris mon courage à deux mains et j'ai traverser la pièce au sol froid et fendillé pour examiner le document posé sur le bureau. Je me suis avancée comme s'il me fallait enfiler une combinaison de protection avant de le toucher et j'ai saisi un coin de la feuille entre le pouce et l'index.
Je délègue autant que faire se peut la partie légale de mes affaires à des avocats, mais leur tarif horaire est tellement délirant, il chiffre si rapidement qu'en ayant déjà du mal à payer mes arriérés de factures, j'ai dû apprendre à me débrouiller par moi-même pour que ça me coûte moins cher.
Reconnaissance de dette.
Je la lis mot après mot.
Pour résumer, ce document explique très clairement la perte de mon entreprise familiale. Brett Hyde a emprunté cinq cent mille dollars à Lachlan Mount il y a quatre mois et il était censé le rembourser la semaine dernière, date de l'anniversaire des trois mois de la mort de Brett. Ou si vous voulez plus de détails, l'anniversaire de la découverte de son corps dans le Ninth Ward* dans une voiture carbonisée, en compagnie des restes d'une femme non identifiée.
Un tourbillon d'émotions éclate dans ma poitrine, à la manière des brass bands** qui rivalisent sur les trottoirs du quartier français en échange des dollars des touristes.
C'est une catastrophe.
Je ne peux pas payer.
Mount sait que je ne peux pas payer.
Mais il y a quelque chose qu'il est prêt à accepter en échange.
Je fais le tour du bureau en titubant, j'ai les jambes en coton, je m'effondre sur ma chaise.
Vous.
Des frissons m'envahissent et font frémir chaque centimètre carré de ma peau nue, pourtant le cuir retient toujours la chaleur de son corps. C'est comme si son sang était plus chaud que celui d'un homme normal. Et c'est peut-être le cas. Une chose est certaine, c'est que Lachlan Mount n'est pas un homme ordinaire.
Mais que peut-il bien vouloir chez moi ?
Ma voix intérieur me sermonne. Tu es sérieuse ? Qu'est-ce qu'un homme peut bien vouloir chez une femme ? Tu va le payer en nature.
Il n'y a que deux ou trois choses dont je sois absolument certaines sur cette terre. Que le whiskey Sever Sinners est le meilleur que j'aie jamais goûté. Que La Nouvelle Orléans sera toujours à moi. Et que je ne vais pas me prostituer pour payer les dettes de mon mari disparu.
Mais ce mot résonne dans l'air.
Vous.
Ma main tremble lorsque je compulse les pages pour me remettre les termes exacts en mémoire. C'est une évidence, les seules choses importantes inscrites sur ces papiers, ce sont la somme due et la date à laquelle elle doit être remboursée. Je feuillette les pages. Je ne veux plus les regarder, mais voilà qu'au verso, je tombe sur un gribouillis sarcastique que me nargue.
" Un délai de paiement de sept jour vous est accordé. "
En dessous, il y a une signature totalement illisible, mais pas besoin d'être un génie pour savoir à qui elle appartient.
Sept jours ? A vrai dire, même sept mois ne seraient pas suffisants. Je ne peux pas trouver un demi-million de dollars.
Qu'est-ce que Brett a bien pu faire cet argent ? J'attend, en silence, comme si le Seigneur allait donner la réponse, mais bien évidemment, ce n'est pas le cas.
Est-ce que ça a tant d'importance que ça ? L'argent a disparu. Disparu. Et c'est moi qui suis piégée parce que, comme je l'ai appris de façon déplaisante, en tant qu'une bénéficiaire et exécutrice testamentaire, c'est à moi de régler toutes ses dettes. Les dégâts causés par un mauvais mariage durent en fait bien plus longtemps que jusqu'à ce que la mort vous sépare. Je ne vais pas me laisser faire et payer pour les mauvaises décisions qu'a prises Brett derrière mon dos. Le frisson de peur constante qui coule dans mes veines a tendance à affaiblir maa volonté de fer.
- Je trouverai un moyen d'arranger ça. D'une façon ou d'une autre. Je trouverai.
Le silence de mon bureau est la seule réponse dont j'ai besoin. Moi-même, je n'y crois pas. Mais je dois réagir, sinon je suis baisée. Et apparemment, c'est Lachlan Mount qui va s'en charger.
Ninth Ward* : Le 9th Ward est un quartier de La Nouvelle Orléans.
brass bands** : Orchestres traditionnels de La Nouvelle Orléans, composées de cuivres et de percussions.
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LE ROI SANS PITIE
Teen FictionElle le hait, il la veut. Pourra-t-elle résister ? La Nouvelle Orléans est à moi. Quiconque me défis, ne revois plus la lumière. Vous ne connaissez pas mon nom, mais je contrôle tout ce que vous voyez et tout ce que vous ne voyez pas. Mon pouvoi...