Chapitre 13 - La Forêt Vemeille

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Richa et Yennaël stoppèrent entre les arbres contre lesquels ils s'appuyèrent, essoufflés, plus Yennaël que Richa.
Après avoir laissé Wolramf derrière eux entre le campement de la Flamme Blanche et celui des Terres de Sang, ils avaient établi une rapide stratégie pour franchir ces défenses, plus sur l'insistance de Yennaël, qui n'avait pu se résoudre à simplement foncer tête baissée et à improviser, qu'à celle de Richa.
La magie les avaient aidés à repérer les postes de surveillance dissimulés dans les hauteurs des résineux. Visiblement, les soldats des Terres de Sang ne se méfiaient guère des attaques d'Humcréas, ce qui semblait logique puisque leur ennemi était la Flamme Blanche. Ils avaient ensuite convenu que Yennaël se déplacerait de poste d'observation en poste d'observation, guidé par Richa qui le suivait depuis les branchages.
Au départ, la tactique s'était révélé efficace et ils avaient progressé sur plusieurs mètres puis l'imprévu s'était présenté. Ils n'avaient pas envisagé qu'un soldat puisse souffrir d'insomnie et se balader dans les environs du campement.
Richa s'était pressé d'intervenir avant que cet homme n'avertisse les renforts mais elle ne s'était pas attendu à tomber, littéralement, sur un adversaire si redoutable. Elle avait fait tout son possible pour l'empêcher d'appeler qui que ce soit et elle avait écopé de plusieurs hématomes de son côté. Après tout, elle avait affronté un elfe.
En s'apercevant de sa nature, elle avait été surprise. A cause de la réputation des Terres de Sang, elle s'était attendu à rencontrer des vampires.
Sa fébrilité et son impatience à s'approcher d'une éventuelle vérité lui avaient momentanément fait oublier la détestable situation du royaume qu'elle avait découverte mais, à présent qu'elle y pénétrait, les descriptions sanglantes qu'elle avait lues lui revenait en mémoire.
Peut-être qu'elle avait eu de la peine pour cet elfe, qu'elle imaginait donc soumise à ces lois de sang, car elle l'estimait comme un adversaire valeureux ou encore car, malgré cet incident, elle ne se considérait pas comme une ennemie des Terres de Sang et souhaitait que leurs ressortissants en face de même pour elle. Dans tous les cas, elle s'était senti navrée en voyant cet elfe lutter pour respirer et n'avait pu s'empêcher de s'excuser. Il lui avait semblé qu'il lui avait crié qu'il la retrouverait mais elle n'en était pas certaine, ayant été davantage concentrée sur sa fuite.
Pendant qu'elle combattait cet elfe, Yennaël lui avait dégagé le passage dans le campement en renfort de magie pour s'assurer qu'elle ne se retrouverait pas piégée.
Craignant qu'on ne les poursuive, ils s'étaient éloigné du campement autant que possible et, même lorsqu'ils avaient été à bout de souffle, Yennaël avant Richa, ils avaient seulement ralenti la cadence pour continuer à marcher à un rythme soutenu.
Ils venaient seulement de s'arrêter. Yennaël sonda les environs avec un sort et Richa les examina en usant simplement de ses sens aiguisés pour constater avec soulagement qu'on ne leur avait apparemment pas donné la chasse. De toute évidence, les autorités du camp avaient compris qu'ils ne représentaient pas un danger pour la sécurité du royaume.
Dans un soupir, Richa s'adossa contre l'un des pins. Elle n'avait pas pensé que ce genre de choses auraient pu se produire durant leur traversée de la frontière. Après tout, celle du campement de la Flamme Blanche s'était bien déroulé, exceptée les gesticulations de Wolramf, mais ils s'en étaient bien sortis.

« ça va ? S'enquit Yennaël, le souffle court.

– Ma poitrine a dû virer au bleu et c'est juste par chance que j'ai pas une côte pétée. Ce type cogne plus fort que les minets de la Flamme Blanche.

– Je te promets que nous nous en occuperons dès que nous aurons trouvé un endroit où nous installer. Pour l'instant, ce serait trop dangereux.

– Je le sais, t'inquiète. De toute façon, on a gaspillé des heures dans cette foutue grotte alors je me sens pas prête à m'arrêter. Tant que je m'écroule pas de fatigue, je continue.

– Je me demande parfois ce que je fais avec toi, espèce de folle, mais ça me plaît !

Lança Yennaël avec un sourire taquin auquel Richa répondit d'une manière identique. La jeune fille restait surprise de constater la complicité qui s'était instauré entre eux.
Après encore quelques minutes, ils reprirent leur route en se dirigeant vers le nord.
Leur intention était de se diriger vers Sandfal, le village construit au bord de l'un des deux bras de l'Essior, le plus grand des fleuve des Terres de Sang, pour se ravitailler et se reposer plus confortablement avant de poursuivre leur voyage. Ils comptaient ensuite suivre le cours de l'Essior à travers la forêt jusqu'au Palais Vermeille qui se dressait à quelques kilomètres. Ainsi, ils évitaient Sangaliore, la capitale, ce qui soulageait Richa.
Avec la réputation de ce royaume, elle préférait ne s'approcher qu'un minimum de toute civilisation. Elle s'était résigné à séjourner à Sandfal, car elle acceptait de reconnaître qu'ils n'auraient que difficilement pu faire autrement, mais elle comptait s'y attarder le moins possible. Hors de question qu'ils subissent ces lois sanglantes.
D'après leur évaluation, ils en avaient pour une bonne vingtaine de jours de voyage au milieu des arbres. Ils débutèrent ce trajet immédiatement puisque, comme Richa l'avait décidé, elle avancerait tant qu'elle ne s'écroulait pas de fatigue. L'obscurité ne les gênait pas, Richa jouissant de sa vision nyctalope et Yennaël profitant toujours des effets de son sortilège.
Ils progressèrent autant qu'ils le purent jusqu'à que leurs jambes de les porter davantage. Plutôt que de s'effondrer parmi les racines et les aiguilles de pins, ils choisirent de s'arrêter d'eux-mêmes au pied d'un large tronc.
Le sommeil leur laissa seulement le temps de manger avant de les cueillir et ils s'endormirent dans les bras l'un de l'autre.
Les sept jours et les six nuits suivants furent identiques à ces deux premiers. Ils avancèrent durant autant d'heures que le leur permit leur corps en s'aménageant des pauses puis ils dormirent l'un contre l'autre. Cette deuxième étape de leur voyage leur donna l'occasion de converser en plaisantant, toujours à voix basse pour éviter qu'on ne les surprenne et restant attentifs à ce qui les entourait.
Très candidement, Richa aurait pu se dire que, en plus de progresser physiquement vers leur destination, ces jours de marche resserrèrent les liens entre elle et Yennaël. Les nuits y contribuèrent particulièrement.
Si l'impatience et la fébrilité ne la tiraillaient pas avec toujours plus d'intensité à chaque kilomètre parcouru, la jeune fille aurait presque souhaité que ce voyage se prolonge davantage que prévu, appréciant ces instants partagés avec Yennaël.
A présent, Sandfal se situait à proximité. Ils captaient les gargouillements sonores de l'Essior, bien que le fleuve lui-même demeure camouflé par les hauts arbres environnants. La seule trace de sa présence était ces sons qui s'élevaient entre les troncs.
Malgré la tombée de la nuit et l'obscurité qui s'épaississait d'autant plus sous le couvert des pins, ils continuaient à avancer vers leur objectif. Le village ne se trouvait plus très loin et il aurait été stupide de stopper pour la soirée alors que, avec une heure et quelques efforts supplémentaires, ils pourraient se reposer dans un lit dans une auberge.
Les pins s'écartèrent soudainement pour dévoiler les flots agités de l'Essior. Large de plusieurs mètres, le cours d'eau paraissait déchainé mais il s'agissait de son état ordinaire. Le fleuve se montrait toujours sauvage et violent, à l'image du pays qu'il traversait. Il arrivait d'ailleurs régulièrement qu'il déborde.
Suivant la berge, Yennaël et Richa remontèrent toujours vers le nord, à contresens du fleuve, vers Sandfal. Tout comme l'Essior, le village ne se profilait pas à travers les troncs qui le dissimulaient.
Richa s'immobilisa soudainement, le corps tendu et les sens aux aguets. S'efforçant de ne pas se laisser berner par les ombres des pins, elle observa les alentours avec attention.
Remarquant son brusque changement d'attitude, Yennaël stoppa à son tour et se tourna vers elle en penchant la tête sur le côté, interrogateur. Il se demandait ce qu'il se passait. Sans compter que, sans la jeune fille pour le guider, il peinait à se déplacer dans la nuit, à tel point qu'il aurait risqué de se heurter à un tronc.
Leur destination ne se situant plus très loin et leur marche ne devant plus durer très longtemps, il avait préféré éviter d'user de sa magie pour économiser son énergie et il s'en remettait donc à Richa ainsi qu'à sa vision de nyctalope.
Si il voulait s'épargner une chute parmi les racines ou une embrassade trop brutale avec un arbre, il avait besoin de la jeune fille pour s'orienter dans la forêt mais c'était surtout son attitude qui l'alertait.
Revenant sur ses pas pour s'approcher d'elle, il ouvrit la bouche pour s'enquérir de ce qui l'inquiétait soudainement. Ses sens étaient moins aiguisés que ceux d'une demie-elfe et il n'avait rien remarqué mais Richa l'interrompit avant qu'il ne formule une syllabe en dressant sa paume devant son visage. Malgré l'obscurité, Yennaël perçut le geste et il demeura silencieux.
Sans rien préciser ni expliquer, Richa se fit attentive à tout ce qui les entourait. En plus du fracas du fleuve, du vent dans les épines de pins, de la présence de Yennaël à ses côtés et de la rumeur de la vie nocturne de la forêt, elle captait autre chose qu'elle peinait à identifier. Tout ce qu'elle pouvait faire pour découvrir de quoi il s'agissait était de se concentrer dessus sans laisser Yennaël dévier son attention.
Malgré ses efforts, elle ne releva cependant rien d'anormal, pas un son, pas un mouvement, rien du tout, pourtant, son instinct lui assurait que quelque chose n'était pas normal. Quelque chose n'allait pas, elle n'en démordait pas. L'atmosphère du trajet, inchangée jusqu'ici, venait subitement de se transformer pour une raison que Richa ne parvenait pas à identifier.
Se tournant vers Yennaël, elle s'apprêta à le prier de lancer le sortilège qui lui permettait de sonder un périmètre pour relever tout ce qui s'y trouvait mais elle n'en fit rien.
La sensation qu'elle éprouvait venait de passer de préoccupante sans qu'elle ne comprenne pourquoi à celle d'un danger immédiat.
Avant qu'elle ne réagisse ou n'avertisse Yennaël, un poids s'abattit sur elle depuis les hauteurs des branchages, la plaquant à terre. Durant un instant, elle crut qu'il s'agissait des soldats stationnés sur la frontière qui les avaient pistés durant des jours avant de les prendre par surprise. Après tout, cette attaque ressemblait beaucoup à celle qu'elle-même avait utilisé contre cet elfe.
Son avis évolua cependant bien rapidement lorsqu'elle sentit une paire de canines effleurer son cou pour tenter de percer sa chair. Un vampire l'avait choisie pour sa nourrir. Tout son corps se hérissa à cette constatation alors que des images de Jonathan s'imposaient à son esprit. Il était absolument hors de question qu'un vampire la prenne à nouveau comme cible en la dominant d'une quelconque manière.
Tout en se débattant pour empêcher son agresseur de planter ses crocs dans sa jugulaire, elle dégaina l'une de ses dagues et, dressant le bras en arrière, elle l'enfonça dans la gorge du vampire. Avant qu'elle n'enchaine en le jetant au sol, elle perçut un déplacement d'air au-dessus d'elle et une tête rebondit parmi les racines devant ses yeux dans une gerbe de sang.
Se dégageant, elle repoussa le corps qui s'affaissa à côté d'elle et bondit sur ses pieds pour faire face à Yennaël. Son épée, qu'il serrait dans son poing gauche tout en s'éclairant d'une sphère lumineuse, gouttait de sang.

Le Souffle de Kaëv'ah - Tome 4 : L'Héritage du Sang [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant