Le réveil

Chapitre 1 : Les mains

Le lit s'étire sous la peau, je garde encore quelques instants les yeux fermés, juste le temps de sentir encore la quiétude des draps avant de me redresser. Je m'assoie au bord du lit, et le contact frais du sol sous les pieds me happe. Les yeux ouatés s'ouvrent et se referment. La main qui se porte au visage pour se poser sur un œil apporte un peu de ferveur au corps engourdi. La main. Elle est étrangement réconfortante. Les mains ouvertes devant les yeux me paraissent très grandes. Je les regardent sans les voir, les plie, les retourne.

Un doute infime me traverse. Je me lève, et le déséquilibre m'attrape en plein vol. Je m'agrippe au meuble le plus proche, pour scruter mes pieds, mes jambes, mes mains encore, et mes bras dans la pénombre. Ils ont comme changé d'échelle. D'un frôlement je vérifie la sensibilité d'une jambe. J'ose à peine me toucher. Je tire un rideau et la lumière embrase ma peau, dévoilant une toison qui n'y était pas hier. Je pousse un gémissement de surprise et le son se noie dans ma gorge immédiatement, deux mains plaquées sur la bouche. Cette voix ! Une voix rauque. Méconnaissable. Je me jette sur la porte. La lumière du jour naissant pulvérise devant mes yeux le spectacle d'un étranger dans ma salle de bain.

Un jeune homme stupéfait me dévisage, la main figée en l'air dans un geste ridicule. Il ne porte rien d'autre qu'un caleçon. Dans un réflexe de pudeur dérisoire, je me couvre les yeux des mains. Et quand je les rouvre en laissant lentement tomber mes bras, une idée me frappe. Je suis dans ce corps, exposé dans le miroir comme dans une vitrine. Je me rapproche, et dans un mouvement prudent, j'effleure d'abord la surface miroitante puis mon visage.

L'esprit désormais tout à fait éveillé, j'embrasse l'impensable de ma condition. Je suis un homme étranger ce matin. Mais dans mon être, dans ma tête, comme hier et depuis mon premier souvenir, je suis une femme.