~ 𝙵𝚊𝚌𝚎 𝚌𝚊𝚌𝚑é𝚎 ~

~ 𝙿𝚛𝚘𝚕𝚘𝚐𝚞𝚎 ~

La jeune femme courait dans une obscurité sans nom. Par moments, elle trébuchait sur les pavés disposés irrégulièrement, uniquement éclairés par la lueur tremblotante de sa torche. L'obscurité régnait en maître, donnant au petit sentier s'enfonçant dans les bois une atmosphère inquiétante. Derrière elle, des bruits de pas commençaient à retentir, au loin. Les gardes, pensa-t-elle avec effroi.

Elle accéléra encore l'allure. Une peur qu'elle se refusait à éprouver commençait à poindre malgré elle. Elle tenta de s'insuffler un peu de courage avec des pensées censées être positives, mais qui n'arrangeaient pas grand chose. Elle se devait de réussir à fuir. Pas seulement pour sa propre vie, mais aussi pour l'avenir d'Espérale, qui reposait tout entier sur ses épaules à elle.

À son immense effroi, les bruits de cavalcade s'étaient rapprochés. Elle entendait des cris percer le pourtant opaque silence de la nuit. Tout en courant, elle ramena derrière ses oreilles deux mèches blondes qui s'étaient échappées. Comme elle même, songea-t-elle avec une ironie douce amère. Sauf qu'elle était seule, du moins pour le moment. Elle baissa les yeux sur le sol devant elle. Ses ballerines simples à la peinture désormais écaillée étaient usées par sa course, mais elle les préférait mille fois aux souliers extravagants qu'on la forçait désormais à porter. Sa délicate robe bleue rebordée d'or était déchirée par endroits, la faute aux ronces qu'elle avait dû esquiver.

Sous ses yeux, le chemin pavé devenait un sentier tortueux. Elle avait atteint l'orée de la forêt. Elle devait donc être là. Si jamais elle avait pu parvenir au lieu du rendez-vous. Une bouffée d'espoir l'envahit. Elle avait passé toute son enfance dans cette forêt ; elle la connaissait comme sa poche. Elle pouvait situer la moindre clairière, le moindre croisement. Cependant, cela ne l'empêcha pas de trébucher, la faute à une racine insidieusement glissée sur sa route, dissimulée par la nuit. Elle chuta à genoux, et grimaça lorsque des gravillons s'enfoncèrent dans sa peau déjà bien écorchée. Elle soupira, voyant que sa robe avait récolté quelques déchirures en plus. Malgré la provenance de cette robe, elle l'aimait bien, et aurait apprécié qu'elle reste intacte. Mais elle ne pouvait pas tout avoir, et la liberté de Camille et de ses proches, voire celle de tout un royaume, valait bien qu'une insignifiante tenue soit détériorée.

Elle se releva rapidement et s'élança à nouveau sur le sentier. Ses poursuivants se rapprochaient, elle l'entendait bien. Elle s'enfonça dans la forêt, et grimaça lorsqu'une branche accrocha le tissu de sa robe. Elle essaya de se dégager, en vain. L'étoffe était trop emberlificotée. Elle tira de toutes ses forces et faillit tomber en arrière lorsque le pan de la robe se déchira, emportée par son élan. Elle repartit aussi sec, peut-être même plus vite. Elle espérait avoir l'avantage du terrain, mais ce bout de tissu était aussi révélateur de la direction qu'elle avait prise que si elle avait posté un panneau géant. Elle sauta lestement par-dessus un amas de branches, puis esquiva une grosse racine. Voyant que sa torche était sur le point de s'éteindre, elle déchira une autre pièce d'étoffe de sa malheureuse tenue, et en enveloppa l'extrémité du bâton qu'elle venait de ramasser. Elle enflamma ensuite l'extrémité de sa nouvelle torche, puis se remit en route. Avec deux sources de lumière en main, même si l'une était en fin de vie, elle voyait bien plus clair, et sa vitesse de progression s'en trouva donc accrue.

Au bout de quelques autres minutes d'une course effrénée, la jeune femme s'arrêta. Elle tendit l'oreille. Seuls les bruits de la forêt lui parvinrent. Pas de signe humain. Elle devait avoir réussi à semer les gardes. Elle pouvait donc avancer moins précipitamment.

Lorsqu'elle arriva enfin à l'embranchement qu'elle recherchait, elle poussa un soupir de soulagement. Elle passa une main dans ses cheveux d'un blond doré, éreintée. Elle s'avança jusqu'au fourré au coin des sentiers.