I. La Belle Bleue

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En débarquant sur le quai du spatioport de Hajurörta, je marchai dans une flaque noire comme le cul d'un sanglier d'Omicron2 Eridani qui aurait eu une courante carabinée. Pour ne rien arranger, elle était profonde comme ma désillusion et ma lassitude. Une horreur.

J'aurais dû mettre les bouts direct en voyant l'état de mon grimpant et de mes pompes, mais mon bon sens était parti avec la fumée de ma dernière cigarette, et j'étais dans le rouge. Sans ça, j'aurais tout de suite compris que le petit cocktail de crasse on the rocks que venait de me servir cette cité andromédienne était un avertissement, un condensé de la merde qui attendait le petit détective interstellaire à la ramasse que j'étais. Mais mon inconscience et mes finances en avaient décidé autrement.

Par la suite, ma mauvaise première impression de la ville ne fit que se confirmer. Les rues puaient comme les dessous de bras d'un proxénète d'Orion avec la mort aux trousses, et les humanoïdes de toutes formes et de toutes couleurs que je rencontrais étaient tous aimables comme des portes de prison. Pour un peu, je me serais cru dans Néo-Paris, la classe en moins.

Hajurörta, c'est comme un glaviot sur la face d'Andromède ! m'avait dit un autochtone à l'air fatigué et à la démarche traînante dans la navette. Et personne a encore trouvé un mouchoir assez grand pour l'essuyer.

Comme je m'étais toujours senti l'âme d'un nettoyeur, je n'avais pas prêté attention à ce qu'il m'avait dit. Mais maintenant que j'avais le produit sous les yeux, j'étais quand même obligé de reconnaître qu'il avait un peu raison, cette face d'arc-en-ciel.

J'arrêtai un taxidroïde et je demandai à ce qui lui servait d'intelligence artificielle de m'emmener au 13 de l'Öramar Güta, la Rue des Serpents. C'était là que m'attendait Ölöma Meremia, un gros industriel qui avait fini par déranger pas mal de monde à force d'avoir de l'appétit. J'allumai mon cérébrophone en contemplant les buildings hajurörtiens, des abominations architecturales qui hésitaient entre un godemiché métallique et une seringue hypodermique avec la folie des grandeurs. Déprimé par le spectacle, je désactivai le mode visuel de mon cérébrophone. Une face-de-prisme de plus et j'allais devenir chèvre !

― Vous êtes enfin arrivé ? me demanda mon client d'une voix d'une douceur calculée qui sentait son donneur d'ordres à des années-lumières.

― Vous êtes si pressé que ça de me voir ? que je lui demandai.

― Pour vous dire la vérité, j'aimerais que vous soyez déjà là.

― Vous en faites pas. On devrait se serrer la main d'ici quelques minutes.

― Puissiez-vous dire vrai...

Puis, il coupa la communication. Angoissé, le zigue. Et pas aimable pour un rond. Je commençais à mal la sentir, cette affaire.

Comme j'avais rien de mieux à faire et que je pouvais pas m'en griller une dans ce foutu taxidroïde, je me remis à contempler les grâces sans pareilles de Hajurörta. J'arrivai rapidement à la conclusion que mon compagnon de voyage au visage polychrome était en dessous de la vérité. Cette ville n'était pas un glaviot. Moi, elle me faisait plutôt penser à ce qui serait sorti des tripes d'un titan qui aurait décidé de faire la tournée de tous les bars du quadrant alpha. Une vieille mare de gerbe de béton et de métal en train de croupir entre deux montagnes décharnées. Du bonbon pour les yeux. Deux millions d'habitants qui se débattaient dans un infâme bouillon d'inculture et de violence, juste en dessous d'un ciel couleur d'urine. La destination touristique parfaite.

Le premier représentant de la volaille andromédienne que je vis ne me remonta pas vraiment le moral : gras, indolent, et vêtu d'un uniforme couvert de taches de graisse. Il respirait la compétence et l'amour de son métier. On avait souvent dû le soudoyer avec des sandwichs, celui-là... J'en vis d'autres. Mal fagotés. Mal équipés. Un bien triste spectacle. C'était tellement déprimant que j'eus presque envie de taper la causette à l'intelligence artificieuse qui me conduisait à ma destination. Mais je n'étais pas désespéré à ce point.

Sur Andromède, On en boit au Petit-DéjeunerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant