C'était seulement un petit vieux, assis sur son banc.
Il était arrivé un jour, sans que plus personne aujourd'hui ne sache précisément quand, d'on ne sait où, et s'était assis sur le banc. Personne ne savait pourquoi il se trouvait là. Il était simplement arrivé au village et n'en était plus jamais reparti.
Tout le monde le connaissait au village. Si par malheur un étranger passait devant le banc sans le saluer, les habitants du village s'empressaient aussitôt de l'y ramener. Le petit vieux était comme devenu une coutume, une légende ... Certains allaient jusqu'à prétendre qu'il était là depuis des décennies déjà, mais qu'il avait toujours été le vieux qu'il était à présent.
Ce vieillard au visage parcheminé avait traversé les âges pour venir se perdre dans ce tout petit village coincé dans une vallée, pour devenir un fossile intégré au paysage. Sans le respect que lui vouaient les villageois, il se serait presque retrouvé en 1000 impressions de cartes postales dans la région et sa photo serait dans tous les guides touristiques.
C'était sans compter aussi son caractère. Oh, il n'était pas souvent de bonne humeur, le vieux. Pour ne pas dire même qu'il était un grand bougon. Oh, à bougonner sur quoi, sur la pluie trop fréquente, le soleil qui tape trop fort, les gosses qui font trop de bruit, ses rhumatismes qui se réveillent, des choses de petits vieux quoi.
Il lui arrivait toutefois de commencer à parler ... Cela commençait toujours par un « Oh, de mon temps », se poursuivait souvent par un « ça ne se passait pas comme ça » et ne finissait pas rarement par un charabia inintelligible. L'amusement des jeunes gens du village était d'interpréter ce que disait le vieux, et celui qui inventait l'histoire la plus farfelue, la plus héroïque, la plus poétique gagnait le jeu. C'était parfois même, durant les longues soirées de fin d'hiver, autour du feu, quand on allait presque être à cours d'histoires à raconter, que chacun faisait son hypothèse sur le passé mystérieux de ce drôle de bonhomme.
Le petit vieux sur son banc de bois était devenu le quotidien de tous, sans que personne ne le connaisse vraiment, tout compte fait.
Ce pour quoi, un beau matin, les habitants du village furent surpris de ne pas le voir cloué sur son banc, à baragouiner des insultes contre les oiseaux qui le réveillaient au petit matin. Le petit vieux s'était éteint pendant la nuit, comme la bougie qu'il avait soufflé juste avant de s'endormir. Pour de bon.
On l'enterra au soir, dans un flanc de la montagne, et l'on déposa des fleurs sur le petit banc de bois sur lequel on avait gravé un petit mot à sa mémoire.
Ainsi périt le petit vieux.
Mais aujourd'hui encore, si vous passez dans le tout petit village coincé dans une vallée, vous verrez la maison vide que l'on a pas eu le courage de vendre, le petit banc de bois, vous pourrez écouter les histoires au coin du feu, lors des veillées d'hiver ... Car le petit vieux n'est pas encore tout à fait mort. Il est encore dans l'esprit des villageois, et même si personne ne se rappelle de son nom (l'avait-on seulement connu ?), tout le monde continue d'imaginer le passé de cet énigmatique personnage.
