— Bonjour, Ange ! Je t'attendais. Je t'en prie, assieds-toi sur la chaise. J'espère que le dossier ne te fait pas trop mal au dos.
Je m'assis.
— Comment tu vas ? Tu sais, j'ai pensé à toi toute la semaine. C'était long. C'est long, un mercredi à l'autre, on ne s'en rend pas compte comme c'est long. Qu'est-ce que tu as fait durant tout ce temps ? Pendant les jours d'école, je t'imaginais aller en classe et faire la course avec Thomas sur le chemin du retour. Pas Mathis, juste Thomas, puisque j'ai bien compris que Mathis était occupé ailleurs en ce moment. Est-ce qu'il est dans ta classe, Thomas ?
Noé avait une voix particulière. Je m'en étais déjà rendu compte la semaine dernière, mais cette étrangeté m'apparut cette fois-ci plus nettement. On aurait dit que sa voix mêlait les deux genres, la majorité de cette singularité venait de là. La construction harmonique de son ton conservait, dans sa gravité masculine, une légèreté qui pouvait faire passer sa voix pour celle d'une fille ; et exactement en même temps, quand on pouvait croire entendre une fille en l'écoutant, on ne pouvait pas s'empêcher de penser à un garçon. Il y avait donc dans sa voix quelque chose de chaotique qui brouillait les genres et l'empêchait de s'incliner entièrement d'un côté, fille ou garçon, de la même manière que cela brouillait mon goût et l'empêchait de s'incliner d'un côté, curiosité ou détestation.
— Tu n'es pas en colère ? demandai-je.
— En colère ? répéta Noé étonné, pourquoi je serais en colère ?
— A cause de ce que je t'ai dit la dernière fois.
J'étais attentif à la porte d'entrée la chambre derrière moi. Je me demandais si quelqu'un nous écoutait.
— Je pensais tout ce que j'ai dit et ne m'excuserai pas, ajoutai-je. J'espère que tu le sais.
— Je le sais, répondit-il en souriant. Alors, tu me réponds ? Thomas est dans ta classe cette année ?
Sa réaction me fit froncer les sourcils.
— Pourquoi tu t'en fiches ? demandai-je.
— C'est l'impression que je te donne ? Mais je veux savoir pour Thomas. Alors, est-ce qu'il est dans ta classe ?
— Ça te va, ce que je t'ai dit ?
— Est-ce que Thomas est dans ta classe ?
— Réponds.
— Je ne comprends pas, dit-il doucement avec hésitation. Ce n'est pas un secret, tout de même, puisque ton entourage doit le savoir ? Est-ce qu'on t'a jeté un sort pour que je reçoive une malédiction si tu me dis si Thomas est dans ta classe ou non ?
Je sentais mes sens se braquer. Sa manière d'ignorer tranquillement le sujet me chauffait les entrailles. Je n'étais pas vexé, mais énervé. J'aurais voulu qu'il se sente intimidé par moi et prudent quand il s'agissait de parler.
— Ange ?
— Thomas est dans ma classe.
— Oh oui, je le savais ! s'exclama Noé comme avec un éclat de joie. Vous vous connaissez depuis au moins le collège et vous continuez à vous voir même la dernière année de lycée ! C'est comme dans les histoires. Les plus grands rivaux sont aussi les plus proches amis. Ils ont une relation spéciale où, sous des airs de distance et d'adversité, ils ne sont jamais loin l'un de l'autre : ils se tirent vers le haut, ils se poussent toujours à donner le meilleur d'eux-mêmes, dans l'espoir de dépasser l'autre. Et même s'ils ne le disent pas, ils savent très bien que sans leur rival, ils ne pourraient pas vivre aussi pleinement. Parce qu'ils ont besoin de l'autre pour avoir quelqu'un à surpasser, pour s'améliorer, repousser leurs limites personnelles encore et encore. Du coup, ils se sont en secret très reconnaissants d'exister. Ils s'aiment plus que tout.
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Ange et Noé
Подростковая литература« - Ange, qu'est-ce que tu es fort, disait-il, tu es tellement fort de réussir à me porter avec autant de facilité. - Pas vraiment. C'est juste que t'es pas lourd du tout. - Non, non ; tu es fort, insistait-il, tu es trop fort de pouvoir me porter...