Chapitre 9

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« Tu me crois la marée et je suis le déluge »

- Victor HUGO

À mesure que les répétitions se succédaient, Arsène et moi étions plus coordonnés et connectés dans nos mouvements. Il nous manquait toujours ce truc, l'émotion réel et immédiate que provoquait les sentiments amoureux entre deux êtres, mais nous dansions mieux que jamais en duo. Ivanovich nous avait fait passer en revue l'entièreté de nos scènes dans l'acte II, et bien qu'elle n'en soit pas encore satisfaite, tout portait à croire que nous étions sur la bonne voie.

- Rubis, lorsque tu entres sur scène, tu dois avoir l'air plus déroutée. Rappelle-toi, Odette a peur du prince.

Et comment ne pas avoir peur en étant poursuivi par un prince qui tient une arbalète ?

- Reprenez au moment où les cygnes s'alignent.

Arsène se positionna en diagonale, sa fausse arbalète dans la main, le corps tendu par la fatigue. J'accrochai ses prunelles miel en pensant à toutes les fois où sa présence m'avait oppressé ou effrayé, à cette confusion que je ressentais autour de lui. Il me suffisait de me noyer un peu trop longtemps dans son regard pour commencer à calquer mon comportement sur celui d'une princesse apeurée. Un subtil mouvement des lèvres de sa part pour m'encourager et je me lançai dans la course d'Odette. Arsène avait le rôle le plus passif dans cette scène, il jouait plus du théâtre qu'il ne dansait, mais l'interprétation restait tout aussi nécessaire que la mienne.

- Courbe un peu plus les sourcils, et ce sera parfait, murmura-t-il lorsqu'il s'approcha de moi.

J'obtempérai, les yeux plongés dans les siens. Il jouait le prince à la perfection, avec le degré exact d'humilité et de grandeur.

La porte s'ouvrit violemment alors que je commençai l'adage pour fuir Arsène parmi les cygnes. Françoise s'interrompit au milieu de ses notes alors que je me retournai, troublée par cette interruption soudaine. À côté de moi, Arsène parut tout aussi étonné de voir Juliette débarquer comme une furie pendant une répétition aussi importante.

- Toi ! S'exclama-t-elle en me pointant du doigt, le visage enflammé par la haine. Tu as touché à mes affaires !

- Je ne vois pas de quoi tu parles, dis-je calmement, en jetant un oeil à Ivanovich et Arsène.

L'une nous jaugeait d'un oeil suspect, l'autre avec surprise.

- Ne fais pas l'idiote, je sais que c'est toi qui as réduit en pièces mes justaucorps !

Je lui rirais au nez si je ne m'exposais pas en coupable en le faisant. Il fallait bien qu'elle s'attende à un retour de flamme après avoir cassé chacune de mes nouvelles paires de pointes.

- Mes pointes sont cassées tous les jours depuis lundi dernier, c'est sûrement la même personne qui s'en prend à nous deux. Je ne vois pas pourquoi tu m'accuses. Qu'est-ce que j'aurais à y gagner ?

- Effectivement, Juliette, je ne pense pas que Rubis ait un quelconque motif pour s'en prendre à toi, intervint Ivanovich de son traditionnel ton agacé.

- Et comment expliquez-vous ce massacre ? Gronda Juliette à l'intention d'Ivanovich. Ce sont des centaines d'euros mis en pièce ! Nous ne sommes pas tous aussi riches que princesse Rubis qui n'a qu'à claquer des doigts pour que sa mère lui donne tout ce qu'elle désire, éructa-t-elle.

Elle fulminait de rage et je m'en délectai à outrance. Ce n'était que parti remise. Pour autant, je détestai qu'elle mette sur le tapis ma prétendue richesse et ma mère. En quoi étais-je responsable de son succès et de sa richesse ?

l'Opéra : le lac des cygnes (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant