Je continuais de répondre aux questions que Noé posait sur ma vie, et par là je lui racontais à peu près qui j'étais. Du moins, qui j'étais selon moi. Quand on raconte qui on est, on apporte toujours son point de vue. Il n'existe pas de manière vraiment objective de se décrire soi-même ; en tout cas, si elle existe, je ne la cherchais pas, et je ne me décrivais qu'avec la couleur de mon humeur actuelle, c'est-à-dire de façon négligée.
Je n'avais pas le désir de donner une apparence particulière à mon existence dans mes phrases. Je n'avais pas de façon définie de parler de moi. Je n'étais ni un dompteur talentueux du verbe, ni un fin stratège qui savait quel effet il souhaitait produire sur son récepteur, car ce que je disais n'était jamais issu de techniques ou de réflexions, mais de ce que j'éprouvais dans l'instant. Et pourtant, même sans calculer mon discours, celui-ci restait une suite de phrases construite que je choisissais. Au final, même si mes paroles sortaient n'importe comment, elles restaient des paroles que j'avais choisies et que je voulais bien dire à Noé. Mes paroles négligées étaient choisies parmi un cercle immense et infini de possibilités d'autres paroles. C'était donc cela ; même si je laissais libre cours à toute ma négligence, que j'invoquais le moins de temps possible à mes descriptions et que je ne vérifiais pas toujours la véracité du détail que je prétendais connaître, il en résultait que je choisissais toujours des mots à la place d'autres, que j'éliminais un terme par l'élection d'un autre, et que j'écartais des morceaux entiers de ma vie. Rien qu'en parlant, je disais des choses et en cachais d'autres ; je me concentrais sur certaines, et ce grossissement donnait à ma vie des centaines de possibilités d'interprétations dont je n'étais responsable qu'à moitié.
J'étais tout de même certain de parler sans avoir l'intention précise de cacher quelque évènement. Après tout, je me fichais de ce que Noé pouvait savoir sur moi. Ce garçon n'appartenait pas à ma vie habituelle et il n'encombrerait mes mercredis que le temps de deux mois. Malgré cela, j'étais pris dans le jeu du langage et mon honnêteté n'en était pas vraiment une ; en énonçant une partie de moi-même, j'en dissimulais une autre.
— Tu es amoureux de quelqu'un, Ange ? demanda Noé.
— Non.
— Tu l'as déjà été ?
Je répondis par un haussement d'épaules.
— Alors, tu n'as ni d'amoureuse au lycée, ni d'amoureux au club d'athlétisme ? insista-t-il comme pour être sûr.
— Non. Tu as quel âge pour parler comme ça ?
Il se mit à rire :
— 17 ans, comme toi. Mais je trouve ça plus mignon de dire « amoureux » ou « amoureuse » comme quand on était petits. Toi aussi, tu disais ça, Ange ? Tu ne veux pas répondre ? Tu sais, de mon point de vue, quand on est en couple avec quelqu'un, c'est qu'on est amoureux de lui. C'est bien plus vrai et chaud de dire « amoureux » ou « amoureuse » que « copain » ou « petite copine. » « Petite copine », c'est bizarre, d'ailleurs. Je veux dire, il est vrai qu'un amoureux n'est qu'un copain à petite échelle puisqu'il est plus amant qu'ami, mais il n'empêche qu'il n'est pas plus petit que les autres copains en sa qualité d'être aimé. Non, vraiment, dire amoureux et amoureuse, c'est ce qu'il y a de plus correct.
— Gamin, marmonnai-je sans retenue.
— Tu n'aimes pas les choses enfantines ? demanda-t-il en souriant. Moi, j'aime bien, tu sais. Ça me fait rêver.
— Ça te rend niais.
— Mais on est niais parce qu'on est heureux. Tu n'es pas heureux, Ange ? Moi, je suis heureux quand je suis avec toi.
— Moi, je suis heureux quand je ne suis pas avec toi.
— Pfff ! pouffa-t-il. C'est amusant comme tu es à la fois ronchon et gentil, fit-il remarquer gentiment. Tu as l'air toujours de mauvais poil, mais en fait tu écoutes quand je te parle.
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Ange et Noé
Fiksi Remaja« - Ange, qu'est-ce que tu es fort, disait-il, tu es tellement fort de réussir à me porter avec autant de facilité. - Pas vraiment. C'est juste que t'es pas lourd du tout. - Non, non ; tu es fort, insistait-il, tu es trop fort de pouvoir me porter...