On ne dort pas la nuit. La nuit, le corps s'éteint et laisse le subconscient prendre le relais. Mais des fois le corps reste éveillé dans cet état presque second. Alors on ne dort pas, parce que ce sentiment étrange, que l'on ressent à l'heure où les étoiles brillent, on y devient un peu addict. On lutte un peu plus chaque nuit pour rester éveillé. Et la routine s'installe.
Alors, on ne dort plus la nuit. On reste un peu seul. Seul avec les ombres sinistres qui se forment dans les recoins de la pièce. On laisse notre esprit divaguer. On voyage dans une réalité où tout serait beau. Puis on perd un peu le contrôle et on se laisse emporter. On finit par se noyer dans un flot de pensées qu'on a laissé un peu trop dériver. On rumine sur les incertitudes de l'avenir et on ressasse les erreurs du passé. On se fait frapper de plein fouet par une lancinante nostalgie d'un passé que l'on idéalise. Les ombres au coin du mur se retrouvent spectatrices d'un chaos silencieux.
Alors on ne dort pas la nuit. Parce qu'on n'y arrive plus. Effrayé de se faire aspirer par cette spirale. On redevient l'enfant qui a peur du monstre sous son lit. On veut le fuir ce monstre. Discrètement, on quitte le lit, parce que maintenant, on sait que même sous la couette, le monstre nous retrouve. Alors on s'allonge sur l'herbe un peu mouillée du jardin. On a froid la nuit, en pyjama dans le vent. Lorsque même le soleil ne peut plus nous protéger, on se sent vulnérable. On regarde les étoiles et on se sent petit. Tout petit dans ce grand univers. On se dit que rien n'a vraiment d'importance au final. On se sent insignifiant. C'est un peu triste, au début, de se dire qu'on est rien. Puis on regarde plus longtemps les étoiles et on commence à apprécier. Apprécier la beauté du tout quand on est rien. Ça rend un peu poète les étoiles. C'est ça qui les rend belles.
On ne dort pas la nuit. On observe la rue d'à côté par la fenêtre. On entend l'obscurité et on regarde le silence. La nuit, le monde se met un peu en pause. Tout est un peu plus lent. Et quand on ne dort pas la nuit, on se retrouve spectateur du monde qui s'est, pour un court instant, arrêter de tourner. Et pour un court instant, nous aussi, on arrête de tourner. On ne vit plus. On est juste là. On ne se sent pas vraiment concerné par les problèmes que le soleil a emportés avec lui quand il s'est couché.
Le silence est lourd la nuit. Si lourd que tout en devient bruyant. Et tout est sombre la nuit. Chaque lumière se transforme en peintre dessinant sur le monde des ombres un peu étrange. Ces ombres qui transforment le décor, alternant un moment notre vision de la réalité.Alors on ne dort pas la nuit. On marche pied nu sur le bitume froid et granuleux de la rue d'à côté. On marche et c'est vrai que ça fait un peu mal au début. On s'habitue. On marche seul, dans une rue mal éclairée, avec des éclats de verre un peu partout. C'est stupide comme idée. C'est dangereux. C'est vrai qu'on frissonne à chaque petit bruit. On ne sait pas vraiment sur quoi on va tomber. Sur qui on va tomber. On a peur. Mais on se sent un peu plus vivant. Alors on continue, on avance. On marche sur du verre. Ça fait mal. Mais on se sent encore plus vivant. On se trouve un banc qui longe la route. Et on s'amuse à regarder la fumée de la première taffe de cigarette s'envoler dans l'air. Ça aussi, c'est stupide. Un peu honteux. Et ça aussi, on continue quand même. Mais seulement dans l'ombre protectrice de la nuit.
La Lune est plus compréhensive que le Soleil, il paraît.
On se sent seul la nuit, mais moins seul que le jour.Alors on ne dort pas la nuit. On s'allonge sur ce même bitume. On regarde le vent chuchoter des mots doux aux arbres. On regarde les ombres moroses danser sur le sol. On regarde les étoiles qui dessinent le ciel. On est en plein milieu de la route. On se dit que si une voiture passe et nous écrase, c'est que c'était le destin. On crèvera tous un jour de toute façon.
Quand on regardera notre vie, à l'aube de la fin, peut-être qu'on se dira que ça n'en valait pas vraiment le coup. Qu'on aurait dû se faire écraser cette nuit-là.
On regardera tous les étoiles une dernière fois avant d'en devenir une. Peut-être que cette fois-là elles brilleront un peu plus fort, pour nous dire qu'elles ont hâte de nous rencontrer à nouveau.
Allongé sur cette route, les étoiles brillaient très fort. Peut-être qu'on aurait dû les rejoindre ce soir-là.
Mais on les a laissé partir avec l'aube.Ces nuits-là, on ne dort pas. Et le matin, on scrute le miroir et on y voit un inconnu, l'air fatigué. On y voit cette vieille connaissance dont on avait oublié les traits. On essaie sans succès de s'en souvenir. On finit par abandonner. On accepte de voir dans le miroir quelqu'un que l'on oublie un peu plus chaque matin.
On oublie, la nuit, qu'on existe vraiment, que le lendemain existe. Alors les nuits suivantes, on ne dort pas, pour se retrouver, retrouver cette confuse sensation de vivre.On ne dort plus la nuit, jusqu'à ce que l'on regarde une dernière fois les étoiles et que l'on ne dorme plus jamais.

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Les méandres de ma nuit
Ngẫu nhiênC'est la première fois que je publie quelque chose ici. J'écrirai ce qui me passe par la tête, lors de ces nuits où, à la place du sommeil, ce sont les mots qui viennent. Je n'attends rien de tout ça. Je le fait plus pour moi même. À ceux qui veule...