La génération salie

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Nous sommes construits par notre environnement. Nous sommes construits par notre éducation, ceux qui nous aiment, ceux avec qui on passe du temps, par nos passions, nos idoles, nos héros, par l'endroit où on grandit. Notre milieu social, la richesse de nos parents, ce qu'ils en font, nos possessions, font de nous ce que nous sommes.

J'ai été élevée par deux parents de sexes opposés, j'ai une petite sœur âgée de trois ans de moins que moi. Ma famille du côté de ma mère est assez proche de moi : un grand père, une grand-mère, un oncle qui a une femme, ils sont tous les deux xennials alors que mes parents sont de la génération x. Mon oncle et ma tante ont deux enfants qui ont douze et seize ans de moins que moi, la génération Alpha. Je suis avec ma sœur issue de la fameuse génération Z et mes grands-parents sont des Baby Boomers, les fameux, et ils sont paysans alors encore plus conservateurs. Rien de plus « normal ».

Le politiquement correct parle rarement à ma famille, ça peut me faire du mal de les entendre parler, pour sur, parce qu'ils critiquent tout ce que je voudrais représenter, et personne ne dit rien parce que c'est mon grand-père, et le tonton qui dit des trucs racistes aux repas de famille c'est mon père, et tout le monde le voit comme un demi-dieu dans la famille. Mes parents critiquent souvent mon oncle et ma tante pour leurs choix, mais moi je les admire malgré certaines décisions que je trouve étranges. Je les admire car je sais qu'ils savent ce qui se dit dans leur dos, et ils nous invitent quand même aux anniversaires en gardant leurs valeurs honorables. Il n'y a techniquement que trois générations dans ma famille, mais ma mère et son frère devraient déjà en représenter deux différentes. Ces divergences font mal, et elles se voient de plus en plus depuis qu'ils ont des enfants.

Un repas de famille est devenu pour moi un enfer sur Terre. Ma famille n'a plus l'air d'être ma safe place. Chaque repas est lieu d'une discussion digne de Jean-Marie Le Pen, et pas seulement pour le racisme. Mes grands-parents ne sont pas des boomers qui ont manifesté en mai 1968, ils étaient trop occupés sûrement. Les repas de famille chient souvent sur la gueule des jeunes, ce à quoi je réponds qu'ils sont ceux qui ont foutu la merde dans nos générations, et je me fais toujours engueuler à cause de ça, on m'a même traité de communiste ! J'ai parfois l'impression qu'ils ne font même pas d'effort pour essayer de comprendre notre génération.

Ma mère m'a donné une partie de ma haine de moi-même, chaque jugement qu'elle porte sur moi me rend de plus en plus horrible à mes propres yeux. Chaque parole qui sort de sa bouche m'écrase plus à chaque fois.

C'est l'environnement dans lequel j'ai été construite.

Je me sens sale. Je me sens salie par tout ce que je suis et tout ce que j'ai été, par tout ce que j'ai touché et qui m'a touché. J'ai l'impression qu'aucun d'entre nous n'a d'avenir, qu'on n'en aura qu'une pièce, que tous les efforts actuellement faits n'ont pas de sens, qu'ils sont inutiles. J'ai l'impression que ça empire plus que ça ne s'améliore.

J'ai l'impression de devenir adulte. J'étais une enfant complètement ignorante, je n'ai jamais rien compris. Mais aujourd'hui je comprends, et j'ai un besoin immense de changer tout ce qui a fait de moi moi.

Je n'aurais jamais pensé dire ça, mais j'ai hâte de partir, j'ai hâte de ne les voir que les week-ends. J'ai hâte de changer de département, me reconstruire, reconstruire mon éducation, me laver de ce que je suis aujourd'hui.

Je déteste ce que je suis à cause de ce qu'ils sont.

J'ai l'impression d'être la génération finale de ma famille.

Je suis la première née de tous les côtés de ma famille sur cette génération, alors j'ai plus de conscience que ma sœur et mes cousins. Je comprends mieux le monde qu'eux. Être la première née d'une famille fait reposer sur moi une certaine responsabilité : ne pas laisser les autres sombrer en s'occupant d'eux.

Ma cousine a six ans, mais elle a l'air de comprendre certaines choses de l'actualité. Elle a l'air de comprendre les choses, elle comprend de mieux en mieux cet environnement dans lequel elle est en train de grandir, même si elle ne s'en rend pas compte.
Je veux faire la différence.
J'aimerais qu'un jour elle me demande ce que ça signifie d'être une femme et pouvoir lui répondre sincèrement quelque chose qui lui donne de l'espoir pour devenir quelque chose dont elle sera fière. Je veux être la fierté de mes jeunes cousins.

Ce ne sont que des enfants, mais ils ne se rendent pas compte de ce qu'ils représentent, je ne m'en rendais pas compte.

Aujourd'hui, mon but est de devenir l'opposé de ce que le reste de la famille est. Je veux être meilleure qu'eux en tous domaines. Je veux que mes cousins et mes neveux et nièces m'admirent.

Je ne veux pas finir comme mes parents.

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