Vocation

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‹‹ Pourquoi es-tu Chevalier ? ››

Cette question, combien même peu de personnes osait lui poser ouvertement, revenait sans cesse à lui, par des regards, par des actions. Et quand il pensait enfin s'en être débarrassé, elle revenait d'un coup, amenant avec elle son lot d'insomnies à y réfléchir.
Après tout, la vraie question à lui poser aurait été ‹‹ Pourquoi TOI, tu es Chevalier ? ››. C'est vrai : il n'avait pas la douceur de Mû ni la force d'Aldébaran. La sagesse de Saga ou l'impulsivité d'Aiolia. Le calme de Shaka, la bonne humeur de Dohko. La vitesse de Milo, la gentillesse d'Aiolos, la droiture de Shura, les connaissances de Camus. La beauté d'Aphrodite.
Non, lui qui se faisait appeler DeathMask n'avait certainement pas de quoi rivaliser avec eux. Il s'était entraîné, avait appris les arcanes du Cancer, atteint le septième sens et, enfin, avait reçu son armure. Il était devenu Chevalier. Mais alors, dans quel but ?

Protéger la veuve et l'orphelin ? Il eut un rire, puis un regard vers son mur, où trônent encore une multitude d'ovales de tailles différentes ; vestiges de ses crimes passés. Il ne pouvait pas prétendre à un but si noble, cela ne lui ressemblait pas. DeathMask, l'asssin du Pope, d'une folie aussi grande que sa collection de visages. Tous ceux qui croisaient sa route en tremblaient de peur, les nourrissons en pleurs, les femmes et leur pâleur.
Il ne protège pas ; il effraie. Il ne sauve pas, il tue et récupère en souvenir la tête de ses victimes, pour ne jamais les oublier. Ne jamais oublier les actes qu'il a fait.
Alors non, il ne pouvait pas dire qu'il se battait pour protéger : loin d'y arriver, il ne ferait que tout casser. Alors, quel pourrait être son but ?

L'envie simple de voir du sang couler, les champs de bataille et les ruines, les cris déchirants des perdants ? Avant, peut être, oui. Il ne le nierait pas. Avant, il prenait un plaisir malsain aux souffrances d'autrui. Aujourd'hui, qu'en est-il ?
En cette période de paix, il n'avait plus besoin de tuer. De torturer. De massacrer. Non, en ces temps de paix, il n'avait plus besoin de ça. Et pire encore : il ne devait pas faire ça. Ce qui lui avait permis d'apparaître, d'enfin, être. Être autre chose qu'une bête assoiffée de sang, un tueur sans état d'âme. Être tout simplement un Chevalier ; rire, discuter. Apprendre et attendre, mais attendre quoi au final ? Le début des prochaines hostilités ? La mort qui viendra bientôt les chercher ?
Que son blason soit redoré ?
Non, ce n'était pas cela. Combien même son pessimisme naturel lui chuchotait que ça allait recommencer, la Paix semblait bien ancrée. Et il avait trop côtoyer la mort pour avoir peur qu'elle vienne le trouver. Quant à l'image qu'il renvoyait... Il devait avouer qu'il s'en foutait. Il était DeathMask, sans âme et sans coeur, aux yeux de ceux qui le voulaient. Il était DeathMask, le voisin de temple un peu dérangé, pour ceux qui étaient sur l'escalier. Il était Angelo, l'ami exécrable qui fumait, chez qui on pouvait venir se bourrer. À n'importe quelle échelle, son image était négative. Était-elle pour autant erronée ? Il souria. Non, loin de ça. Et devait il en avoir honte ? Peut être, il ne savait pas. Mais en tout cas, il était loin de se préoccuper de ce que les commères racontaient.
Alors donc, la violence toute la journée ? De sa fenêtre, il observait le ciel étoilé, et le haut de ces maudits escaliers. Disons qu'il avait changé ; évolué. Et que ces nuits à penser au passé l'avait fait réaliser à quel point il préférait que certaines personnes soient à l'abri du danger, au lieu de devoir l'affronter. Il avait convenu que ces seuls humains qu'il avait pu supporter, même lors de ses plus sombres moments de folie, n'avaient plus à risquer leur vie. Et que pour leur sécurité, il voulait la paix.

Pas pour protéger. Pas pour tuer. Pourquoi donc ?
Une multitude de petites réponses lui vint en tête, mais elles semblaient assez vides en elles-mêmes. Car il était là, qu'il n'avait rien d'autres à faire. Car on lui avait promis honneur et fierté, et qu'il avait tout gâché. Car il était seul, enfant, mourrant de faim, et qu'il avait cru qu'on allait le sauver lorsqu'il fut emmené. Pourtant, aucune de ces réponses ne lui convenait.

Assis sur le rebord de sa fenêtre, cigarette à la main, il continuait d'y penser. Il ne savait pas vraiment pourquoi, mais il voulait répondre à cette question. Pas pour les autres, mais pour lui même. Se prouver qu'il avait une raison de rester ici, autre que ses souvenirs et ses amis. Qu'il avait trouvé sa vocation en ces lieux, servant les Dieux.
Il ne pouvait même pas dire qu'il faisait cela pour l'humanité ; à l'heure où ils déclanchaient eux même des guerres, provoquaient leurs propres galères, semant la misère... Non, il ne pouvait pas dire ça. Pas alors que des peuples mourraient, des guerres civiles éclataient, des enfants pleuraient. Et tout cela, sans aucune influence divine, dû à ces temps de paix. Non, il ne voulait pas protéger l'humanité.
Pourtant, lorsqu'il regarda en bas de ces escaliers, ces enfants s'entraîner tard sous la voie lactée... Il se revit il y a quelques années, avec deux autres enfants, en train de s'amuser. Des enfants qui étaient maintenant grands, voilà ce qu'ils étaient. Des enfants qui ont grandi entraînés dès leurs premières années, pour participer à la guerre qui se préparait. Des enfants qui avaient vécu ce qu'ils avaient vécu, afin de les renforcer. Mais, observant ces apprentis, il se dit qu'eux devraient y échapper. La paix était signée, quel intérêt de les briser ? De faire souffrir leur âme, de blesser leur corps ? De leur faire vivre ce que eux, qui devaient se battre, avait vécu ? Il n'y aura plus de combat. Plus de guerre. La paix avait été signé entre les armées, alors qu'on laisse ces gosses en paix.

Et c'est sur ces pensées qu'enfin, il trouva la réponse qu'il attendait. Il en soupira presque de bonheur, satisfait. Il ne se battait ni pour sauver, ni pour faire saigner.
Non, il se battait car on le lui avait toujours ordonné.
Il se bat car il faut bien s'entraîner.
Et il se battra désormais pour laisser à ces enfants la chance de rêver.

OS- MangaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant