SIGNES

1. La Rencontre

Cette rentrée scolaire était aussi décevante que toutes celles qui l'avaient précédées : un agglutinement désordonné qui ne dura qu'une poignée d'heures... très vite, les élèves se regroupèrent dans les mêmes clans. Peu importe les classes et les établissements, le cycle recommençait inlassablement. Les belles filles, les sportifs, les pipelettes, quelques premiers de classe et deux bizarres. Parfois tout seul... parfois trois... rarement plus.

L'un était grand et maigre avec une tignasse brune mal peignée, l'autre était petit avec des épaules plutôt carrées et un chapeau marron à la bordure noire qui frisait le ridicule pour mieux cacher ses cheveux bleus ou verts ou quelle était donc cette couleur ?!

"Je m'appelle Heinz Doofenshmirtz comme le fameux Roger Doofenshmirtz que tu ne connais pas encore mais ça ne saurait tarder car tout le monde admire toujours le meilleur joueur de football et je dois bien admettre qu'il est doué même si ça me fait grincer des dents." prononça le grand brun sans reprendre sa respiration. "Je n'aime pas le small talk et il paraît que c'est une caractéristique des personnes autistes ce qui semble logique puisque je le suis, autiste mais c'est aberrant car je ne vois pas ce qu'il peut y avoir d'intéressant dans les Quoi de Neuf et les Oh bah tiens, il fait beau aujourd'hui alors je ne comprends pas que ça plaise tant aux autres. Je veux parler du sens de la vie, de tout ce qui te fait vibrer et ce qui te fait honte, imaginer un monde dominé par des robots et construire leurs maquettes puis détruire métaphoriquement ce monde en froissant tous nos schémas. J'aime les gens avec beaucoup de profondeur et qui parlent sans pouvoir s'arrêter d'une voix pleine d'émotion... j'espère que tu aimes les monologues car c'est pour moi un signe sincère d'attachement émotionnel, souvent je dois m'excuser sans cesse de trop parler alors je fini par ne plus parler du tout et c'est pour ça que je n'ai jamais eu le moindre ami. Chaque rentrée est l'occasion d'essayer, je repère le gamin le plus bizarre et je tente une approche stratégique. Qu'en penses-tu ?"

L'autre agitait ses mains de haut en bas, il recommença une paire de fois et Heinz le fixait sans savoir quoi en penser... il n'avait jamais su décrypter le langage corporel. Au fond de lui, il se doutait un peu de ce que ça pouvait signifier.

"S... stop ?" demanda-t-il, la voix teintée malgré lui d'un touche d'espoir.

Son interlocuteur ne tarda pas à broyer cet espoir, il posa cette fois-ci sa main gauche à plat avant d'abattre celle de droite dans sa paume en l'air d'un gestes franc en hochant vigoureusement la tête.

"Oh eh bien oui... j'aurai dû m'en douter, chaque année c'est la même rengaine sinon tu te doute bien que je ne serai pas tout seul à t'aborder. Je parle trop : trop vite, trop fort et trop loin. Je fais peur aux gens, je crois. Tu n'as aucune profondeur mais ne t'inquiète pas, je sais très bien rester tout seul et je ne vais plus jamais t'embêter."

Pendant qu'il parlait encore trop vite, trop fort et sans doute trop loin, Heinz Doofenshmirtz ne vit pas son camarade sortir son calepin. Il semblait chercher une page et ne la trouva pas avant que son interlocuteur décide de s'en aller d'un air mélodramatique. Il s'accrocha à la manche blanche trop large et tira enfin la page qu'il cherchait.

"Qu'est-ce qu'il y a... oooh, tu veux me donner ceci ? Eh bien je ne sais pas si -"

Pour la première fois depuis très longtemps, Heinz Doofenshmirtz ne parvint pas à terminer sa phrase. Il fixait les mots écrits tellement forts au stylo-bille qu'ils transperçaient les pages quadrillées.

.....

JE SUIS SOURD ET MUTIQUE

.....

"Oooh alors tu n'avais pas l'intention de me laisser tout seul, c'est ça ? En fait, tu ne comprends juste pas un mot de ce que je te... oh." il s'arrêta une deuxième fois, ce qui était un record.

Le plus petit des deux garçons leva ses yeux noisettes pour fixer le plus grand d'un air désolé, il se frotta les paumes l'une contre l'autre avec un léger mouvement circulaire. L'un était incapable de comprendre les mouvements trop vagues avec les mains... l'autre incapable d'entendre ses longues logorrhées verbales. Leur amitié était incompatible comme souvent avec les bizarres du groupe, trop atypiques pour aller ensembles, ils restaient solitaires.

.....

DÉSOLÉ

.....

Il n'avait qu'à tourner une feuille pour afficher ce message écrit en petit sur toute la feuille, cette fois-ci, le stylo avait à peine effleuré le papier et l'écriture semblait plus timide. Heinz hocha la tête avant de s'en aller... ils n'échangèrent plus aucun mot de la journée. Comment le pourraient-ils ?

★ ━━━━━━━━━━━━ ★

LES SIGNES DU CHAPITRE

★ ━━━━━━━━━━━━ ★

"STOP"

"PARDON"

Langue des signes relue et corrigée par Styx_System et JuliaAnyaStrauss.