Scène 8
EUDOXIE ET POLÉMARQUE
Dans le gynécée. Eudoxie est pensive, elle semble attendre. Polémarque entre après son service. Il se plonge la tête dans un vase d'eau.
EUDOXIE : J'ai tout entendu, Polémarque. Je veux des explications.
POLÉMARQUE : (Il a peur.) De quoi parles-tu ?
EUDOXIE : Ne m'oblige pas à le dire, cela me fait trop de mal. (Polémarque hésite un instant. Elle se décide alors.) Je parle de ton amour pour cette hétaïre !
POLÉMARQUE : (Il soupire.) Diotime n'est pas une hétaïre.
EUDOXIE : Elle t'a arraché à moi, donc c'en est une. En plus, je suis sûre qu'elle t'a manipulé.
POLÉMARQUE : Allons, Eudoxie. Il y des choses plus graves qui se passent en ce moment même. Je n'ai pas le temps pour ça.
EUDOXIE : Tu n'as pas de temps pour moi ? Que t'arrive-t-il, Polémarque ? (Ton plus doux.) Je peux t'aider, dis-moi ce qu'il se passe. (Polémarque ne dit rien. Ton plus sévère) Tu ne me fais donc pas confiance. Je ne suis rien à tes yeux ? (En colère.) Si ! Je suis le trou que tu dois remplir.
POLÉMARQUE : J'ai voulu te faire découvrir ta nature. J'ai tenté d'installer une intimité entre nous, mais ce n'est pas cette intimité-là que tu voulais.
EUDOXIE : Je ne comprends rien. Tu disais que tu m'aimais. C'est encore Diotime qui t'a manipulé !
POLÉMARQUE : Diotime n'a rien à voir avec cela.
EUDOXIE : C'est faux. Elle t'a converti à sa cause ! C'est une rebelle, je l'ai entendu lorsque tu te pavanais avec elle dans son jardin ! (Polémarque est surpris.) Eh oui, Polémarque, j'ai beau être une bonne fille du régime qui fait ce qu'on lui dit, je suis encore assez consciente de ce qui se passe. Tu m'as trahi et tu veux maintenant trahir le régime ! Cette femme est un démon !
POLÉMARQUE : Je t'en prie, Eudoxie ... ne dis rien à personne.
EUDOXIE : (Elle reprend confiance.) Seulement si tu pars avec moi et que tu me promets que nous aurons des enfants ensemble. Loin de tout cela. (Polémarque jette un œil sur Eudoxie. Elle le regarde, pleine d'espoir.)
POLÉMARQUE : Eudoxie, écoute-moi. (Il lui prend la main.) Tu m'as dit que les lois de la cité ne déterminaient pas notre amour, que nous pouvions faire le choix de nous aimer pour être libre ...
EUDOXIE : Oui ...
POLÉMARQUE : Tu as voulu construire ta nature en me choisissant. (Elle le regarde fixement, pendue à ses lèvres). Mais on ne se connaît pas entièrement soi-même en reportant tous nos espoirs sur quelqu'un d'autre, je sais de quoi je parle. (Halètement d'Eudoxie.) Je dois te le dire : moi aussi, j'ai trouvé ma nature, et elle n'est pas de te correspondre. Car finalement, je suis intégré au système de Socrate, et toi aussi ! Tu prétends y échapper par l'amour que tu me portes, mais moi je ne ressens pas ce don de la Nature. Il m'est tout à fait interdit. Au moins, je peux en revenir à ce que j'ai toujours désiré : la connaissance du Bien et, à défaut d'être roi-philosophe, la défense des monarques par mon bras et mon épée. Laisse-moi servir la cité du mieux que je peux, en ne t'étant pas exclusif, et en restant un soldat de la république. (Eudoxie est horrifiée.) Pardonne-moi, Eudoxie ... laisse-moi m'en aller dignement. (Une douche de lumière le suit sur scène alors qu'il tourne les talons et quitte la scène. La lumière faiblit progressivement après sa sortie.)
EUDOXIE : (Figée de stupeur dans la quasi-obscurité de la scène, elle reste sur place un moment, puis pousse un gémissement informe en tombant à genoux.) Ah ! Grââââce !! Je suis abandonnée des dieuuuux !!! (Tout à coup, une illumination. Son regard s'intensifie dans la haine. La douche de lumière revient progressivement sur elle.) Non, c'est ton œuvre, traîtresse ! Diotime, tu te dis ma mère mais tu m'as accordé de choisir un homme pour mieux me le reprendre ! Je comprends tout à présent. (Elle hurle.) Tu n'es pas ma mère ! Ma mère est morte comme une putain dans les bas-fonds d'Athènes ! Et je ne suis que la fille d'un traître. (Elle regarde dans le public, l'air éperdu.) Je n'avais que Polémarque et tu me l'as pris. À quoi sert le modèle d'éducation que tu prétends incarner, sorcière, s'il ne donne qu'un exemple déplorable de ta pitoyable nature ? Même Polémarque ne comprend pas en quoi consiste sa liberté ! (Elle passe une main sur la moitié du visage). L'homme et la femme sont tous deux victimes de leurs passions, le mythe de l'Homme ne sert qu'à nous le démontrer. Deux moitiés vouées à s'aimer, ou à se détester éperdument ! Ne dit-on pas que l'amour est le plus vil des tyrans ? (Elle a les yeux écarquillés, fixés sur le public.) Diotime ne souffre même plus de cela, car elle n'est aimée de personne, en réalité. Polémarque ne l'aime pas. Il l'idolâtre. Ce n'est pas ça l'amour, mon cher amant. Oh, mon doux Polémarque, si seulement tu m'avais été fidèle, je t'aurais donné la connaissance véritable du Divin, en te sacrifiant tout mon Amour. Au lieu de cela, tu me plantes un poignard dans le cœur. Désormais, je termine ton œuvre. Adieu. Il m'est trop insupportable de vivre. (Elle prend un poignard posé sur une table, et lève l'arme vers elle. Mais, au dernier moment, elle se rétracte.) Mais pourquoi serais-je la seule à souffrir ? Mon fléau n'est pas assez puissant s'il n'est dressé qu'à mon encontre. Je dois pouvoir faire souffrir Polémarque autant qu'il m'a fait souffrir, car contrairement à lui, moi je l'aime encore. (Elle regarde son poignard, tendrement.) Mon aimé, tu souffriras des milles flèches empoisonnées qui ont perforé mon âme, ma chair, et bien plus encore ...
Elle contemple encore un instant la lame du poignard, puis quitte la scène dans une marche lente et macabre.
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LA RÉPUBLIQUE IMAGINAIRE
Przygodowe20 ans après les évènements du ROI-PHILOSOPHE. Socrate est devenu le tyran de la cité. Il impose ses lois, son mépris pour le peuple, tourne ses ambitions du côté de l'éducation des philosophes et ne se soucie plus des petites gens. Il est temps po...