Scène 10
ALCIBIADE, POLÉMARQUE ET EUDOXIE
Noir sur scène. Dans le palais de Socrate, une silhouette se faufile discrètement dans les appartements privés du hiérarque. Tout est sombre, des bruits de pas résonnent au loin. La silhouette se fige et se précipite dans un coin de la pièce, derrière un rideau.
ALCIBIADE : (Entre sur scène à son tour, et marche sur la pointe des pieds. Douche de lumière sur lui.) Socrate, comment vas-tu ce soir ? Je sais que tu as du mal à dormir depuis quelques nuits. (En cherchant Socrate, Alcibiade fait tomber un vase qui éclate au sol. Une masse informe bouge alors derrière les rideaux, comme surprise.) Socrate, es-tu réveillé ? (Silence.) Je sais que tu es debout. J'ai entendu du bruit. (Silence). Allons mon aimé, ne te cache pas, c'est moi. (Après quelques instants, Alcibiade va en direction des rideaux, les écarte et trouve Polémarque, caché derrière.) Polémarque ? (Un peu gêné. Il reprend un ton martial.) Que fais-tu, soldat ? Et pourquoi te trouves-tu dans cette pièce ? Retourne à ton poste avant que je me fâche ! (Polémarque avance dans sa direction pour partir mais tout à coup, Alcibiade se rétracte.) Attends, attends, Polémarque ... (il essaye de passer mais Alcibiade l'en empêche.) Arrête de t'agiter, par Hercule ! Pourquoi veux-tu t'enfuir ? Au fait, dis-moi, cela fait un moment que tu ne m'as pas parlé de ton enquête auprès des femmes du gynécée. Où en es-tu ?
POLÉMARQUE : (Apeuré, il s'écarte de son supérieur et tente de se donner une contenance.) Mon général, je ne trouvais pas mon chemin, je retourne auprès de ma femme. L'enquête se poursuit.
ALCIBIADE : (Il fronce les sourcils.) Auprès de ta femme ? Mais quelle est cette manie ? Tu n'as pas de femme, Polémarque. L'enquête se poursuit, dis-tu ?
POLÉMARQUE : Euh oui, pardon. Ne me dénoncez pas à Socrate. Je ne faisais que passer.
ALCIBIADE : (Il comprend de moins en moins.) Attends, Polémarque, nous n'avons pas fini. Te dénoncer de quoi ? Et quels sont les résultats de tes recherches au gynécée ? (Il se met à douter.) Mais Polémarque, tu n'as rien entendu concernant ce que j'ai dit, à l'instant ? (Silence de Polémarque.) Et puis, rassure-moi ... que fais-tu ici, enfin !?
POLÉMARQUE : (Il feint l'ignorance.) De quoi parlez-vous ?
ALCIBIADE : (Après un temps d'attente, calmement.) (De plus en plus fort.) Que faisais-tu ici, Polémarque ? (Il sort sa dague et la pointe sous la gorge de Polémarque.)
POLÉMARQUE : Je t'en prie, Alcibiade, calme-toi.
ALCIBIADE : Je suis ton général, pas de familiarités ! Pourquoi trembles-tu autant ? Je ne veux pas te faire du mal ... à moins que tu m'y obliges.
POLÉMARQUE : Je ne veux pas non plus de violence.
ALCIBIADE : Bien. Nous sommes donc d'accord. Réponds à mes questions ! (Silence de Polémarque. Alcibiade le regarde, hagard.) Tu as tout entendu. Tu sais que j'ai voulu me glisser dans la couche de Socrate. (Il libère la gorge de Polémarque de sa dague et recule de quelques mètres, pris de frayeur.) Par tous les dieux, pourquoi as-tu tout entendu, Polémarque ?
POLÉMARQUE : (Précipitamment.) Socrate est le plus puissant des hiérarques, il suscite l'admiration, je comprends. Je veux juste m'en aller ...
ALCIBIADE : (D'une traite.) Il ne suscite pas mon admiration, sombre imbécile ... ! (Il s'arrête, regarde Polémarque, puis reprend.) Oh si, c'est cela ... je l'admire tellement. Il est le seul homme que je n'ai jamais vaincu. Il résiste à mes propositions, jour et nuit. Il est le plus stoïque des hommes. (Il remonte sa dague vers Polémarque, précipitamment.) Et toi, tu sais tout, le plus efféminé de mes soldats, celui qui n'est pas fait pour diriger car trop emporté par ses passions ... ce qu'il ne faut pas entendre : « je veux retourner auprès de ma femme ». Mais tu es fou, Polémarque ! Nous avons une mission divine, nous appartenons à l'élite de cette cité ... que dis-je ! À l'élite des hommes. Nous avons été fondus à partir d'un métal précieux dans le feu d'Héphaïstos. Nous combattons pour imposer notre domination sur le monde. Les peuples barbares de tout le bassin méditerranéen envient notre culture, puisque Socrate a dévoilé la hiérarchie naturelle de l'être : nous sommes des aristocrates en lutte pour notre expansion. Le comprend-tu, Polémarque ? Nous sommes la race élue. Quelle place ont les femmes dans cette lutte ?
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LA RÉPUBLIQUE IMAGINAIRE
Adventure20 ans après les évènements du ROI-PHILOSOPHE. Socrate est devenu le tyran de la cité. Il impose ses lois, son mépris pour le peuple, tourne ses ambitions du côté de l'éducation des philosophes et ne se soucie plus des petites gens. Il est temps po...