Être le fils du Soleil, ce n'était pas toujours facile.Parfois, le long de sa quête, la lourdeur de sa tâche se faisait ressentir. Alors la tristesse s'installait lentement dans la poitrine d'Esteban jusqu'à recouvrir d'un voile sombre le monde environnant, filtrant les rayons du soleil jusqu'à ne plus en laisser un seul atteindre son cœur. Dans ces moments, rien ne semblait plus sombre que l'avenir, fût-il écrit à l'avance dans une, deux ou cent prophéties toute plus étranges les unes que les autres. Il ne voulait pas les connaître, et encore moins les réaliser. Pourquoi devait-il suivre un chemin qu'il n'avait aucune envie de parcourir ? Pourquoi était-il le fils d'un Soleil qui ne l'éclairait même pas ? Il ne voulait pas de ce rôle, ne voulait pas de ce destin. Il refusait de voir d'autres batailles, d'autres morts, de devoir voyager sans pouvoir s'arrêter une seule seconde. Mais il savait malgré cela qu'il n'avait et n'aurait jamais ce choix.
Et voilà qu'encore une fois, quelques larmes débordaient de ses paupières pourtant hermétiquement fermées. Voilà qu'une fois de plus, ses amis dormaient à ses côtés tandis qu'il maudissait le destin de l'avoir désigné. Aujourd'hui comme d'autres jours, il se demandait s'il n'aurait pas mieux fait de rester chez lui, à Barcelone. Que serait-il en train de faire si tout cela n'était pas arrivé ?
Ses larmes taries, il ouvrit les yeux et, s'habituant à l'obscurité, ils se posèrent sur la silhouette se dessinant à travers la pénombre de leur abri, debout devant l'ouverture, observant la pluie battante qui tombait depuis plusieurs heures déjà. Il se demanda à quoi pensait Mendoza là-bas, tout seul. Était-il joyeux, mélancolique ou simplement songeur ? Impossible de le deviner. Rien ne transparaissait dans la posture de cet homme constamment distant. Il était toujours droit et fier, tellement que rien ne semblait pouvoir l'atteindre. Esteban admirait cela, lui qui se laissait si souvent emporter par ses émotions. Il aurait tant voulu lui ressembler, être aussi fort, aussi adroit, aussi vaillant. Peut-être alors aurait-il servi à autre chose qu'à écarter quelques nuages.
Sans réellement le vouloir, il se leva et s'avança lentement vers l'extérieur, le regard toujours fixé sur l'homme dos à lui, hypnotisé par les mouvements gracieux de l'immense cape bleue battue par le vent puissant qui s'engouffrait dans l'abri. Il s'arrêta près de lui, et attendit un instant avant de lever son visage vers celui de l'adulte à côté de lui. Bien que l'ayant certainement entendu, celui-ci n'avait pas bougé, les yeux perdus dans le décor qui lui faisait face. Il avait ce même air indéchiffrable qu'il affichait lorsqu'il réfléchissait. Ses bras croisés sur sa poitrine rendaient sa posture plus imposante qu'elle ne l'était déjà.
En observant ces mains puissantes, Esteban se demanda depuis combien de temps on ne l'avait pas pris dans ses bras, depuis combien de temps on ne l'avait pas réconforté. Était-ce d'ailleurs déjà arrivé ? Il y avait ses amis bien sûr mais, égoïstement, cela ne lui suffisait pas. Son cœur déjà meurtri s'alourdi davantage et il réprima difficilement un sanglot avant qu'il ne passe la barrière de ses lèvres.
Plongé dans ces sombres pensées, le bruissement de la cape de Mendoza le fit sursauter lorsque celui-ci recula d'un pas en se retournant. Ses yeux cherchèrent les siens dans l'obscurité et, lorsqu'il les trouvèrent, un petit sourire étira les lèvres de l'adulte. Il y avait bien trop peu de lumière pour qu'il puisse apercevoir les récentes traces de pleurs le long de ses joues. Esteban en fut soulagé. Il ne souhaitait surtout pas qu'il le voit comme un gamin dont il devrait s'occuper, ça non. Il voulait être fort à ses yeux, l'impressionner d'une quelconque façon. Mais malgré cela... combien aurait-il aimé être réconforté. Il en avait assez d'être obligé de prendre des décisions, assez qu'on lui répète qu'il était exceptionnel et qu'il saurait quoi faire en toutes circonstances. Parce que tout cela était faux. La seule chose qu'il désirait, c'était qu'on lui dise que tout irait bien, que tout s'arrangerait, qu'on lui mente comme l'on ment aux enfants. Un simple enfant, n'était-ce pas ce qu'il était ? Ses minuscules bras était trop fins pour accomplir une telle mission. Le poids de l'univers... sa tête tournait rien qu'à y penser. Et sans arrêt cette même question revenait : pourquoi lui ? Il se mordit la lèvre le plus fort qu'il le put dans l'espoir d'atténuer la douleur dans sa poitrine. Il avait l'impression de sombrer. Tout était noir, si noir. Il frissonna. Son corps n'étant plus protégé, le vent glacé le frappait de plein fouet, s'infiltrant à travers sa tunique. Il se mit à trembler sans qu'il ne put savoir si c'était de froid ou de désespoir.
Soudain, il sentit une chaleur douce l'entourer tout entier, comme si quelque part on avait entendu ses prières. Mendoza avait dû remarquer ses frissons puisqu'il avait retiré sa longue cape afin de l'en recouvrir, posant un genou à terre pour se trouver à sa hauteur. Quelque chose sembla s'allumer dans le cœur d'Esteban. Oh, pas grand chose, une étincelle tout au plus. Mais elle suffit à faire fondre la glace qui le gelait de l'intérieur depuis si longtemps.
Alors, lorsque la main de l'adulte ébouriffa affectueusement les cheveux du jeune garçon, ce fut le geste de trop et, sans pouvoir s'en empêcher, il éclata en sanglots. Il laissa l'entièreté de ses émotions s'exprimer en un torrent d'eau salée coulant sur son visage, déversant toute la colère, la tristesse et l'incompréhension qu'il avait refoulées jusqu'alors.
À travers ses larmes, il pouvait voir les yeux écarquillés de Mendoza et son expression paniquée. Dans d'autres circonstances, Esteban aurait sûrement ri de voir l'homme habituellement si sûr de lui aussi décontenancé. Mais en cet instant, il n'arrivait qu'à hoqueter lamentablement et à prononcer des mots incompréhensibles sans réussir à se calmer. Il commença à s'inquiéter lorsque son souffle devint irrégulier et qu'il eut du mal à inspirer. Respirer était douloureux. Il sentit son cerveau manquer d'oxygène et vaciller. Et revoilà ce noir, partout. Il s'enfonça lentement mais sûrement dans une infinie obscurité.
Loin, toujours plus loin.Un contact chaud sur son bras le ramena brusquement à la réalité alors que Mendoza répétait son nom. La main de l'homme l'attira vers lui et se posa sur sa poitrine pour guider sa respiration. Sa voix grave résonnait dans l'esprit d'Esteban et, sans qu'il ne parvienne à en déchiffrer un seul mot, elle l'apaisa. La chaleur du torse de l'adulte contre son épaule l'enveloppait entièrement et le protégeait de tous les dangers. Sa respiration ralentit. Ses pleurs avaient à présent cessé et il avait soudainement peur que l'autre ne le lâche. Cette idée lui fit bien plus mal qu'elle ne le devrait et, instinctivement, il passa ses bras autour du large torse pour le maintenir contre lui. Il sentit les muscles de Mendoza se contracter brièvement, avant que ce dernier ne se détende et passe à son tour ses bras dans le dos d'Esteban.
À ce geste, une immense joie envahit le cœur du jeune garçon. Il était tellement bien ici, dans cette étreinte formant comme une forteresse empêchant toute pensée sombre de pénétrer. Jamais il ne s'était sentit aussi en sécurité qu'en cet instant. Mendoza n'était pas du genre à dire que tout allait s'arranger. Il ne prononcera pas de mots réconfortants, ne lui dira pas que ce n'est pas grave d'avoir peur. Tout cela, Esteban le savait. Mais peu lui importait. Car il était là. Il était là, il le prenait dans ses bras et c'était tout ce qui comptait.
D'aussi loin qu'il se souvienne, dans le monastère où il avait grandi, Esteban n'avait jamais eu cette impression qu'il savait être celle que l'on ressentait avec une famille. Être protégé. Être regardé. Être aimé. Personne n'avait jamais vraiment été inquiet pour lui. Personne n'avait jamais vraiment pris soin de lui. Il ne s'en plaignait pas, après tout, il n'avait pas été malheureux. Et quelque chose que l'on ne connaît pas ne peut pas nous manquer, n'est-ce pas ? Mais depuis cette époque, bien des choses avaient changées. Il avait forgé des amitiés profondes qu'il n'échangerait contre rien au monde. À présent qu'il avait goûté à la sensation d'être entouré, il se rendait compte d'à quel point il avait été seul. À quel point il aurait aimé avoir quelqu'un pour lui.
Il aurait sans aucun doute été plus heureux avec son père près de lui. Esteban espérait toujours le retrouver un jour. Mais aujourd'hui, il n'était pas là. Il n'avait jamais été là.
Mendoza n'était pas vraiment comme un père pour lui. Quel père laisserait son enfant aller au devant de tels dangers ? Quel père manipulerait son fils pour l'emmener loin de tout ce qu'il avait toujours connu ? Quel père donnerait un exemple si perverti de la moralité ? Tout cela n'était en rien l'attitude d'un parent. Et c'était pour le mieux. Esteban avait déjà un père, il n'en avait pas besoin d'un second.
Et cet homme qu'il ne connaissait pas mais dont il suivait les traces, il le retrouverait ; parce que lui aussi, il voulait près de lui quelqu'un qui partageait son sang. Et lorsqu'il l'atteindra, lorsqu'enfin s'achèvera sa quête, alors il sera l'être le plus comblé de la Terre. Mais pourtant... pourtant il n'oubliera pas.
Il n'oubliera pas la douceur des bras de Mendoza.
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Il n'oubliera pas - MCO
FanfictionÊtre le fils du Soleil, ce n'est pas toujours facile. OS sur les Mystérieuses Citées d'Or