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La Souveraine.

Théâtre Bolchoï. 20 Octobre, 15H45.

Au milieu de cette foule joviale et insouciante de la place, il y a un endroit où le silence est maître. Que cela soit les habitants ou même les touristes, personne ne se rend dans la rue qui rejoint le théâtre au théâtre académique. Au pied du bâtiment victorien où un homme a été retrouvé mort au milieu de son salon, personne n'ose affronter du regard le garde posté devant la porte. L'homme de plus de deux mètres occupe l'intégralité de l'encadrement, imposant sa carrure et dissuadant quiconque souhaiterait voir de plus près le massacre qui a eu lieu.

Je ne retourne jamais sur les lieux des crimes que j'ai commis. D'une part parce que c'est beaucoup trop dangereux, d'autre part parce que c'est trop difficile. Seuls les inconscients et les téméraires s'aventurent sur les lieux de leurs actes et je ne fais partie d'aucune de ses catégories. Pourtant, je ne peux m'empêcher de fixer cet homme qui n'a absolument aucun contact avec la police. Il reste sur ses gardes, prêt à intervenir aux moindres signes suspects, ne prêtant aucune attention à ce qu'il se passe autour de lui.

C'est uniquement la peur du manque qui m'a fait revenir au parc du théâtre. La soirée de la veille s'étant terminée dans le salon du sous-sol où la totalité de l'herbe a été fumée, avec une discussion partant dans une direction radicalement opposée à celle que l'on a eue au bar, il ne me reste plus rien et j'en ai impérativement besoin pour dormir. Bien que j'aurais pu en demander à la jeune serveuse qui en distribuait pendant la soirée, je ne fais confiance qu'à ce jeune homme, une connaissance du mari de Sinann, depuis le début.

- Je ne sais pas qui a engagé la Souveraine mais l'homme qui l'a engagé ne devait pas s'entendre du tout avec ce petit homme d'affaires.

Me sortant de ma contemplation, il s'assoit à ma gauche, le coude posé sur le dossier et sa cheville coincée sous lui alors que je ne lui renvoie qu'un sourire pincé.

En sachant que depuis deux jours, ce nom fait la une des journaux, ça ne m'étonne pas qu'il en parle. Cette mauvaise réputation fait partie du métier. Elle apporte au monde son frisson quotidien, comme un drogué avec sa came. Plus les mauvais acteurs de la société sont puissants, plus l'attirance malsaine prend le pas sur la peur. Tout le monde recherche cette exclusivité qu'ils pourront partager à leur entourage.

Ce qui m'étonne c'est qu'en regardant les articles parus, ce n'est souvent que du vide, des paragraphes qui se répètent sur trois colonnes. La Dona a laissé sa trace sur les médias. Dans une ville où la course à l'horreur et aux effusions de sang est ardemment recherchée, il y a uniquement qu'une description finement détaillée de la vie de Dimitri, prouvant une fois de plus qu'elle dirige officieusement cette ville dans tous les domaines.

- Tu as ce que je t'ai demandé?

- Seulement si tu as l'argent.

Il ne faut pas plus de deux gestes pour que nos chemins se séparent. En lui donnant l'argent, il ouvre sa main et le sachet tombe sur le banc, rapidement caché par la mienne. Il part comme il est arrivé et je me reconcentre sur l'homme qui a désormais son regard tourné vers moi.

L'homme de la Dona a parfaitement vu ce qu'il vient de se dérouler et la frayeur m'empêche de garder une respiration calme. S'il vient à parler de ce qu'il a vu, les conséquences seront dramatiques. Je ne peux pas attirer leur attention en ayant juste acheté ce qui me permet de ne pas sombrer dans la folie. Je ne peux pas prendre de risque, surtout lorsque j'aperçois son signe de la main.

La Dame au voile noir se révèle ainsi derrière lui, comme une présence rassurante et la vague d'appréhension se calme aussitôt. Elle lève sa main faible et osseuse sur son cou alors que j'observe intensément l'homme sans vraiment le vouloir. Il ne suffit que d'un geste du doigt - il ne suffit que d'un trait du milieu de son cou jusqu'à sa nuque exécuter rapidement - pour agir.

Killing SpreeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant