◇ Le soleil matinal fait refléter ses rayons sur les dernières feuilles cristallisées par le givre et le vent glacé s'infiltre entre les pans des vestes mal boutonnées.Emmitouflé dans un sweat moulant qui dévoile trop bien mes formes, enroulé dans une écharpe pas assez épaisse pour la saison et les mains enfouies dans les poches de mon jogging, je grelotte comme si la température arpentait les degrés négatifs.
Traînant les pieds et ma carcasse en envisageant déjà les quelques mètres me séparant de la voiture, mes membres me donnent l'impression d'avoir parcouru la même distance qu'un marathon.
Épuisé de ma propre incapacité à me mouvoir convenablement, un grognement de mécontentement résonne dans ma gorge. Une main réconfortante vient se faufiler dans la mienne au sein même de ma poche.
- Tranquille, c'est normal de peiner à ce stade. Tu t'en sors très bien
- Si tu le dis
Un petit sourire naissant tout de même aux commissures de mes lèvres, on passe tous deux les portes de la clinique en sortant de la dernière échographie.
"Jusqu'à maintenant, c'est une grossesse exemplaire" a dit le toubib, un sourire victorieux sur les lèvres. A croire qu'il venait de résoudre un problème existentiel. Je pense qu'il s'attendait à devoir faire face à quelques complications de parcours. Pourtant, c'est juste un utérus comme un autre. C'est lui même qui l'a dit.
J'entame la dernière ligne droite, l'arrivée est à portée de main, annonçant avec elle, le début de l'aventure. Bouffé par l'impatience de la découverte mais rongé par le doute de tout foirer, je me retrouve fébrile à longueur de journée. Et si à cela, nous rajoutons la cohabitation complexe avec ce bout d'humain, il y a des moments, j'avoue ne plus savoir sur quel pied danser.
Composant entre nuits agitées résultant de mauvais positionnements, allers-retours aux toilettes dus à ma vessie aplatie et brûlures gastriques à cause de la compression de mon estomac, j'oscille entre le cachalot échoué sur une plage, terrassé par la fatigue ou l'artiste en herbe désireux d'exploiter tout cet imaginaire engendré par l'ennuie.
Par moment, j'ai même l'impression de l'entendre se plaindre de son nid qui devient trop étroit, entraînant de faible contractions dans son mécontentement.
Mais pour notre plus grand plaisir, il réagit toujours plus intensément à chaque interaction. Kounen passe donc son temps à lui parler. Quand à moi, étant seul la majeur partie de la journée, j'ai pris l'habitude de parler à voix haute. Interagissant avec lui ou juste avec moi même, il me donne son avis à l'aide de coups plus ou moins forts.
Il y a des jours où je m'amuse même à battre le rythme sur mon ventre, lui transmettant ainsi ma passion pour la musique et tous ces messages qu'elle peut renfermer.
Arrivé à deux pas de la voiture, une voix me sort de ma torpeur, venant réveiller en moi cette sensation que j'avais réussi à faire taire. Celle d'avoir fait le mauvais choix.
- Vous n'avez pas honte de faire étalage de votre condition abjecte en public ? Et il faut en plus que vous fassiez subir ça à un enfant ! Les gens comme vous ne devraient même pas être parents, et encore moins enfanter !
Je sens les doigts de Kounen se contracter autour des miens avant que sa voix ne résonne un peu trop gravement dans l'écho du vent.
- Je vous demande pardon ?
- Je ne fais qu'énoncer mon point de vue, c'est encore permis à ce que je sache !
Le mec sort ça simplement. De façon tout
à fait nonchalante en nous regardant de haut comme si il s'agissait là de son avis sur le dernier bouquin sorti.La main de mon compagnon disparaît soudainement de ma poche et je le vois s'avancer dangereusement vers l'énergumène, le dos tendu au possible. Le rattrapant avant qu'il ne fasse une connerie, je vois ses yeux emplis de rage m'inciter à le lâcher. J'essaye tant bien que mal de trouver les mots juste pour le calmer. Je ne l'avais jamais vu ainsi.
- Laisse tomber, c'est juste un extrémiste de merde. Ceux là on ne pourra jamais les changer
Me suivant à contre cœur vers notre véhicule, il se retourne une dernière fois pour déclarer d'une voix profonde pleine de colère.
- Sachez que notre enfant sera plus heureux dans un foyer rempli d'amour qu'avec des individus tels que vous, crachant leurs jugements immondes de façon puérile sans réfléchir aux conséquences de leurs actes. Si le monde va mal aujourd'hui, c'est parce qu'il est peuplé de personnes égocentrées et bourrées de haine envers la différence. Quel est donc l'intérêt de se cacher derrière des œillères et de s'engluer dans la méchanceté ? Qu'avez-vous donc à y gagner au juste ? Qu'est-ce que ça peut bien vous foutre ce que chacun fait de sa vie ? Remettez vous en question et regardez vous dans un miroir avant de venir manquer de respect à autrui
Montant sans aucune délicatesse dans la voiture, il claque la portière et démarre en trombe. En passant au niveau du sale type, il baisse sa vitre, dresse majestueusement son doigt et gueule un " fils de pute " avant de prendre la direction de la sortie.
Sentant la tension à son comble, je me tente à une petite boutade.
- Depuis quand c'est toi qui explose ? C'est moi le mec colérique d'habitude
- A chaque fois qu'il y a manque de respect figure toi. Alors je te laisse imaginer mon degré de colère quand c'est dirigé vers les deux personnes les plus chères à mes yeux !
Piqué en plein cœur par cette déclaration, je boude de l'échec cuisant de ma vanne. Le rouge aux joues, je baragouine quelques remerciements.
- Tu n'as pas à me remercier. Si je ne suis même pas capable de te défendre un minimum, je ne mérite pas de me trouver à tes côtés
- T'es bête !
- J'ai faim, on va chercher des gaufres ?
Emporté malgré moi dans un fou rire face à cette proposition tombée du ciel, relâchant la pression des évènements, je mets bien cinq minutes à me calmer avant de balancer le plus sérieusement du monde.
- Je t'aime
- Moi aussi mon petit chat. Et c'est bien ce qui va causer ma perte un de ces jours
L'ambiance ayant retrouvé une tension convenable, Kounen reprend la parole doucement.
- Comment tu te sens après tout ça ?
- J'avoue que ça m'a bien dégommé quand même. Et si tu n'étais pas intervenu avec ce magnifique discours, je serais sûrement retombé dans un cercle vicieux de doutes en tout genre
- C'est bien ça qui me révulse le plus, se permettre de déblatérer sa merde sans se soucier de qui se trouve en face. Et surtout, quand on ne sait pas de quoi on parle, on ferme sa gueule !
- Je suis bien d'accord. Mais je pense que malheureusement, ce genre de bâtard n'en a rien à cirer de mes états d'âme
Dans un soupir défaitiste, il vient enfouir sa main dans mes cheveux un instant, profitant lui comme moi de ce contact apaisant pour retrouver un peu de sérénité.
Tant que l'on est ensemble, on pourra faire face à n'importe quel obstacle, j'en suis certain.
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L'hiver bien ancré à l'extérieur, l'ambiance clichée d'une soirée en amoureux au coin du feu à l'intérieur, le temps passe tranquillement, spectateur du chemin que nous avons arpenté.
La voix de mon chat brise le silence dans un murmure, une pointe d'excitation trahissant son impatience.
- C'est pour bientôt
- Très bientôt
Merde, plus que quelques semaines, quelques jours, quelques heures. Même quelques secondes, avant que notre vie ne bascule vers une destinée inconnue et impossible à prédire ◇
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🐈⬛
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◇ Anomalie ◇
Short Story◇ Une soirée de remise des diplômes quelque peu arrosée, une odeur de tabac, un égarement au creux des draps, une paire d'yeux obscures qui te dévisage au soleil levant, écarquillés de surprise. En soit, d'un commun accord, on oubli et on continue n...