La traversée

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I

Une caraque, imposant trois-mâts de la flotte impériale solidement bâti pour encaisser de longs voyages en haute mer, voguait en solitaire perdue dans l'immensité azur de l'océan. Poussée par ses voiles se gonflant sous les vents capricieux, la nef ballottait sur les vagues houleuses. Ancien navire de guerre maintenant dénudé de ses armements militaires n'ayant plus d'usage pour sa nouvelle fonction, il avait été reconverti au transport de biens et de personnes. Ses deux grands châteaux à la proue et à la poupe protégeaient encore le pont entre eux mais avaient été aménagés pour servir de cabines pour les plus munis des passagers ou encore de rangements.

Appuyée au bastingage blanchit et usé par les marées salées des nombreuses traversées qu'il avait déjà vécu, une femme âgée d'une vingtaine d'années plongeait son regard émeraude dans l'horizon infini, cherchant en vain la frontière entre les bleus du ciel et de la mer. Ses cheveux d'un pourpre profond, coupés courts bien au-dessus de ses épaules, auraient pu flamboyer tels des rubis s'ils avaient été propres et coiffés. A la place, ils volaient au vent en mèches collées par la sueur et la crasse. Sa peau autrefois pâle était parsemée de tâches grasses et halée par les longues journées passées sur le pont du navire sous un soleil scintillant, témoignant que de nombreux jours s'étaient écoulés depuis son dernier lavage décent, avant leur départ en mer. Si ces premiers traits physiques étaient propres à ses origines impériales, sa carrure et sa taille trahissaient un métissage évident avec celle des nordiques, aussi appelés géants des montagnes. Sa silhouette faisait plus penser à une solide armoire qu'à une femme et elle dépassait largement d'au moins une tête tous les matelots et passagers qui la croisaient sur les planches du navire, manquant rarement de cracher au sol d'un air répugné devant ce qui leur semblait être une abonimation. Si aucun n'avait levé la main contre elle, c'était sans aucun doute à cause de l'épaisseur impressionnante de ses muscles et des diverses armes qui ne la quittaient jamais. Entre la hache de guerre à deux mains dans son dos et l'épée longue qui pendait à sa ceinture, en passant par le large poignard attaché par des lanières de cuir à sa cuisse, il y avait là de quoi dissuader n'importe quelle grande gueule d'aller trop loin dans ses injures. Ses larges et puissants biceps à la musculature saillante n'étaient pas couverts par sa longue broigne bleue matelassée mais sans manches dont les multiples déchirures dévoilaient en dessous le vert sa tunique de lin. Ses jambes, plus couvertes que ses bras, étaient au chaud dans une paire de chausses noires épaisses et renforcées, elles-mêmes couvertes jusqu'aux genoux par de hautes bottes usées faites d'un cuir brun foncé.

Plus tard, bien après que le soleil eut plongé dans l'océan en laissant place à l'obscurité de la nuit, la femme se reposait sur un hamac dans un dortoir sombre bondé de gens du peuple, à peine éclairés par quelques lanternes timides. Majoritairement des paysans et artisans démunis, quelques anciens légionnaires et une poignée de pauvres va-nu-pieds chanceux d'avoir réussi à mettre assez de côté pour se payer une place à bord d'un convoi vers le Nouveau-Monde. Leurs origines étaient variées, mais leurs motivations étaient les mêmes. Tous espéraient, comme elle, y commencer une nouvelle vie loin de leur lourd passé. Le clapotis des vagues contre la coque épaisse du bateau la berçait et elle finit par s'assoupir dans un sommeil léger. Mais ce repos fut de courte durée. Quelque chose la tira hors du royaume des rêves, ou plutôt des cauchemars dans son cas, sans qu'elle ne put clairement distinguer de quoi il s'agissait. Elle se redressa et s'assit sur son hamac, observant la grande pièce sombre autour d'elle mais ne put apercevoir la moindre origine de son réveil. Le dortoir était calme, tout le monde ou presque dormait. Pourtant, un drôle de pressentiment lui oppressait les pensées. Un long frisson lui parcourut le dos alors qu'elle tendait l'oreille pour comprendre d'où lui venait cette impression de danger. Là, elle l'entendit enfin. Entre deux clapotis un son sec venant de l'extérieur résonna faiblement contre la coque. Suivi d'un autre, et encore d'un autre. La femme rousse s'approcha des épaisses planches de bois d'où provenait le son que seules ses oreilles aguerries semblaient percevoir. Elle avait la nette impression que quelqu'un, ou quelque chose, cognait ou grattait la paroi extérieur du navire. Ou bien... Grimpait ?

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 18, 2023 ⏰

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Les chroniques des aventures de Lysbeth VaelorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant