Iolass

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Il faut bien l'avouer, je n'ai rien appris. J'ai profité de l'hospitalité du gouverneur pour tenter une visite nocturne solitaire. Mais la forte présence des guerrières a gêné mes mouvements. Pourtant quelque chose sonne faux. Un sentiment étrange, un élément qui détonne m'oppresse sans que je ne parvienne à l'identifier.

Le gouverneur, un ancien prêtre d'Apollon, m'a reçu simplement ; un repas frugal, une conversation claire mais économe. Il a répondu à mes questions comme un maître à son élève.

Tout à Ignis fonctionne selon un rythme militaire. Aucun esclave n'est arrivé depuis la fermeture du royaume, aucun Hyksôs n'est admis entre ces murs. Les Amazones les gardent près d'elles dans l'andréion, au pire au temple d'Aphrodite. J'estime, comme elles, cela plus prudent.

Je quitte les lieux dès le lendemain. Il me faudra plus d'une journée pour rentrer à Thermiscyre et la réponse à nos questions n'est pas ici. Je chevauche tout le jour et décide de ne pas faire de halte pour la nuit. Je me contente de changer de monture, tard dans la soirée, dans une simple tour de garde, comme il en est disséminé partout dans le royaume. Sans être claire, la nuit me permet de suivre la piste, mes sens d'atlantes sont des alliés précieux. Je pense sans cesse à ma visite. Vraiment, quelque chose ne va pas. Impossible pourtant de relever un élément concret. Un sentiment sourd m'emplit, éveille mes instincts. Je connais bien cette sensation : un danger ! Ralentissant légèrement ma course, je me concentre un instant. Je suis suivi. C'est sûr à présent. J'envisage le terrain : un canyon, parfait pour une embuscade. Mes armes, vite. Seulement une dague, piètre défense. Forcer l'allure serait une erreur. Il ne me reste pas beaucoup d'options. De l'eau ? Oui, au loin, un torrent, une cascade peut-être. Encore faut-il l'atteindre ! Mes assaillants ? Je me concentre davantage. Combien ? Je dois sentir leur présence. Quatre ? Cinq peut-être ? Ils sont encore trop loin pour être plus précis. Ils se séparent toutefois. Malin ! Mais à condition que la proie ne le sache pas. Ce ne sont pas des guerriers, ils sauraient qu'on ne surprend pas un atlante.

Je laisse mon cheval, il servira d'appât. Trop précieux, il ne risque rien. Attaquer le premier peut être une solution mais si ces sbires ne veillent qu'à mon retour, je vais au devant d'une mort peu enviable. Je doute que les Amazones aient une compassion particulière pour les meurtriers. Je me tapis derrière un rocher. Le terrain accidenté du canyon est parfait pour se dissimuler. Deux hommes surgissent au détour d'un virage, armes au poing. S'ils me surveillent, leur zèle est grand. Encercle-t-on un homme dont on veut le retour ?

Le deuxième groupe est en avant. Je les sens contourner la position par le haut. La rapidité sera ma seule chance. Ils accélèrent... Mais la surprise n'est pas de leur côté. L'absence de cavalier sur ma monture les laisse interdit la fraction de seconde nécessaire à mon attaque. Ils fondent sur un homme seul et de dos ; ils ne me laissent aucun doute quant à leurs intentions. Je ne m'en permets guère plus.

Ma dague va directement se loger dans les yeux du premier. Ainsi frappé, il lâche son épée que je ramasse d'un bond en me jetant en boule entre les pattes de son cheval. L'animal et le mien se cabrent instinctivement, entraînant le deuxième larron qui est très vite désarçonné. Tout est allé trop vite. Je le tue d'un coup net dans la poitrine. Qui sont ces hommes ? C'est idiot. Je me suis précipité ; il me faudra en garder un en vie. J'examine leurs avant-bras : rien. Voilà qui est bien étrange.

Je ne m'attarde pas. Vite, l'épée supplémentaire mais pas le bouclier, trop lourd, trop encombrant. J'avance vers le deuxième groupe des assaillants. Ils m'attendent, cachés dans un bosquet de résineux à la sortie du canyon. Non, vraiment, ce ne sont pas des guerriers. Ils transpirent la peur. Près d'un torrent, en plus ! Quelle erreur ! Ils seront noyés avant même qu'ils aient le temps de m'apercevoir. Un seul problème : comment en épargner un ? Il faut les séparer, organiser une poursuite. Je remonte à cheval et l'éperonne pour feindre la fuite. Ils y croient ! La ruse est pourtant grossière ! Ils se sont échelonnés ; trop facile. Je me retourne pour affronter le plus rapide. Quand je comprends ! L'erreur a changé de camp !

Ils ne sont pas trois. De l'autre côté du cours d'eau, quatre hommes patientent. Je me suis fixé sur le danger immédiat, je n'ai pas poussé plus avant mon étude du terrain. À un contre sept, ce sera trop inégal. Tant pis, même si cela m'épuise, c'est ma seule possibilité. Je dresse un mur d'eau, bloquant les renforts à distance. Le courant créé par ma volonté s'occupera des trois plus proches. Comme pour le premier combat, les forces sont trop inégales mais j'ai dans l'idée qu'ils ne sont pas là pour ça. Ce sont des rabatteurs. Ils doivent me fatiguer pour que les autres finissent le travail. L'objectif est clair : je ne dois pas rentrer vivant à Thermiscyre. Deux morts et un blessé, je suis débarrassé du premier groupe mais inutile de jouer les héros, ceux-là ne s'y laisseront pas prendre.

Je saute dans le torrent, laisse l'eau pénétrer mon corps pour l'épouser, l'envelopper, le dissoudre et le porter au loin. Ils s'en doutent mais leur hésitation me laisse ce qui me manque : du temps. Noyé dans l'onde tumultueuse du courant, invisible à leurs yeux humains, je confie aux flots le soin de me dérober à leurs coups. A l'orée du bosquet, profitant d'un méandre, je rassemble mon être et me matérialise dans un fourré épais. Je suis épuisé. Il me faut attendre, reprendre des forces. Qui sont-ils ? Rien dans leurs aspects, dans leurs tenues ne m'a laissé d'indices. Qui les envoie ? Hippolyte ? C'est sûrement l'hypothèse la plus plausible. Les Hyksôs ? Pourquoi pas mais sont-ils assez fous pour tendre une embuscade en territoire hostile ?

J'espère que le jour m'apportera un peu de répit. Je suis à présent à pieds, ce qui ralentit ma course mais me rend plus mobile. Dès que le soleil paraît, je tends l'oreille. Tous mes sens en alerte, je m'éloigne du torrent. Trop évident pour mes poursuivants. Ma prudence prend le dessus mais je suis en infériorité numérique et pratiquement désarmé. J'ignore combien de jours de marche me séparent de la cité royale. Je ne pense pas pouvoir compter sur leur renoncement. Toutefois les fermes que j'ai vues à l'allée pourront me fournir une nouvelle monture. Mais encore faut-il pouvoir sortir à découvert ? J'avance encore, et encore, chaque fois plus assuré, chaque fois plus téméraire.

Très vite, je les sens, encore dans les bosquets mais ils approchent. Ma fuite ne m'a pas offert que des avantages. Je suis désarmé ; les Atlantes ont la maîtrise de l'eau et de la matière mais sur leur corps uniquement. Mon épée repose désormais au fond du torrent. Heureusement pour mieux couvrir leur zone de recherche, ils se sont séparés à nouveau : deux par deux. C'est jouable. Je monte dans un arbre à couvert et je bondis sur le premier, le jette en bas de sa monture que je lance au galop. Parfait, je récupère une épée ! Le second ne demande pas son reste et me prend en chasse. J'aperçois une lueur. Le bosquet tire à sa fin. Si je l'attire sur la piste, les manœuvres seront plus aisées, le terrain plus libre. Des Amazones pourront nous voir, je l'espère, et intervenir. Ce n'est pas facile. Le soleil m'aveugle un instant. J'en profite pour retourner mon cheval et attendre mon adversaire qui ne manque pas de subir le même aléa. Cela me donne un sérieux avantage. Les forces commencent à s'équilibrer. Il se laisse surprendre et je fonds sur lui sans hésiter. Nos épées se heurtent sans relâche dans un fracas assourdissant. Nous jetons toutes nos forces dans le duel. Rapidement il est rejoint par ses compagnons qui ne m'épargnent pas. Les coups se font plus directs, plus efficaces. Je tue l'un d'eux rapidement. Je sens la rage me gagner. De toute façon, je vaincrai ou j'y laisserai ma peau. Autant ne pas leur faire ce plaisir.

Une lame m'entaille le bras. La douleur vive m'arrache un cri. Je dois en finir rapidement. J'y mets toute ma hargne. Je ne mourrai pas sur ces terres. Je reverrai les rivages blancs de l'Atlantide. Il n'est pas question de me laisser assassiner en esclave.

Le second s'écroule la gorge tranchée sur l'encolure de son cheval. Son sang a maculé son visage. Le dernier tente une manœuvre pied à terre. Je l'y rejoins. Je le blesse mais retient mon coup. Il s'effondre et commence à reculer. Ma détermination l'effraie. D'un coup de pied, je le désarme. Je le serre au col. Mes intentions sont claires : qui sont-ils ? Qui les envoie ? D'instinct, je relève sa manche : aucune marque. Leurs avant-bras sont intacts ! Des hommes libres ? Ici ? Impossible. Ses yeux me percent d'un regard supérieur.

_ Nous sommes les amants d'Artémis. Notre reine.

Sa voix puissante, fanatique, gonfle ma rage. Je ne contrôle plus rien. Mon bras lève mon épée gagnée au combat et la plante dans ce cœur misérable. Alia ? Alia a trahi ? Alia a organisé ma mort ! Pourquoi ? Alia a voulu me tuer. La haine m'étouffe. Je remonte sur un cheval, saisi au hasard et le lance à pleine course.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant