Alia

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Il est là ! Il sourit doucement, heureux de me voir de retour. Je ne bouge pas. Je veux trop savourer ce moment, qu'il dure éternellement. Il me semble que je le vois pour la toute première fois. Ses yeux limpides brillent comme un miroir d'argent. Son visage est si parfait. Ses cheveux blonds, presque blancs descendent délicatement en boucles fines. Il est bien le fils de l'âge d'or, héritier des temps anciens. Sa peau pâle marque son corps de toute sa finesse, muscle par muscle, sur son torse nu. Il murmure :

_ Ça va ?

Sa voix cristalline pénètre mon être en écho successif, vibrante, vivante.

_ Mieux, glissè-je difficilement.

Ma gorge me brûle encore. Chaque mouvement me coûte une douleur inégalable. Je m'en moque. Il est là, rien d'autre ne compte. C'est alors que je vois ce bandage sur son bras gauche. Je le fixe, interrogatrice.

_ Des broutilles...

Il ment. Je ne le crois pas. Que c'est-il passé en mon absence ? D'ailleurs comment me suis-je retrouvée dans mes appartements ? Je ne me souviens de rien. Comment aurais-je pu ? Je n'étais même pas là. Je veux m'asseoir mais il s'y oppose. Il me prend délicatement. Je n'ai qu'à le laisser faire. Entre ses mains, je parais si légère... Il ajuste les coussins, les peaux. Contre lui, je sens son souffle sucré, j'entends son cœur régulier et fort. Je laisse mes mains sur ses épaules, glisser sur ses bras. Ma main droite frôle sa blessure. Il y a comme un éclair. L'obscurité profonde envahit ma raison. Le fleuve glacé du temps ! Des visages, du vacarme, une fuite, le cliquetis des armes, du sang ! Un cri m'échappe.

_ Alia ? réponds-moi, Alia !

_ Qui ?

Mais il ne comprend pas.

_ Qui a voulu ta mort ? Ne me mens pas, j'ai vu leurs visages.

Ma question le désarçonne. La douleur fuit son visage et cède la place à la gravité. Les morts ne voient pas, m'avaient-elles dit. Je n'avais pas compris. Je croyais qu'il s'agissait juste de vivre. Mais je ne suis plus morte. Je vois. Il a dû se battre. J'ai vu leur sang. J'en suis sûre.

_ Qui ?

_ Je l'ignore, s'agace-t-il. Mais comment peux-tu ?

C'est à mon tour d'être grave. Oui, je vois à présent. Il me suffira de le vouloir. L'avenir est un fleuve changeant, trop capricieux pour s'y fier, le présent trop insaisissable n'est pas en images mais le passé, lui, est clair, lisible. Au-delà de l'espace et du temps, je verrai :

_ Je sais beaucoup de choses désormais.

Dérouté, il m'écoute dire cela sans orgueil, empreinte d'une fatalité triste. Je suppose que l'on ne revient pas de ces lieux sans en subir les conséquences. Il ne lutte pas contre cette évidence. Mais une distance douloureuse s'insinue entre nous. Alors oui, je sais ce que veut dire souffrir. Il me raconte sa mauvaise rencontre d'une voix si blanche, fuyant mes regards. Je refreine mes larmes. Il me croit épuisée et décide de rejoindre l'andréion. Il me quitte ? Je ne le retiens pas. Je n'en ai pas la force. Il s'éloigne sans un mot. 

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant