Le repas du soir est des plus moroses, nous sommes tous attablés en silence, chacun regardant son assiette. La prière du soir sacrifiée face au déplorable spectacle de la matinée. Les éclats de rires ne résonnent plus sur les murs blancs de cette pièce garnie de meubles en bois clair et de photos. Ils ont laissé leur place aux regards fuyants de mon frère, ajoutant une pierre à l'édifice de ma culpabilité. Mon père, le visage fermé et la tête prise dans un bandage, mange sans conviction, il semble vide et las de la situation. Ma mère, la seule qui ose me porter une quelconque attention, m'assène d'un regard gorgé de colère en me servant mon repas.
Depuis mon retour à la maison, je me suis isolée dans ma chambre pour leur laisser le temps de digérer le drame matinal. Un sentiment de honte m'avait envahi dès que j'avais franchi le seuil de la porte d'entrée, coupant court à mes souhaits de confidence. Pourtant, je dois leur parler de cette chose, de mes cauchemars, de mes visions, de ma possession.
Mais comment m'y prendre sans qu'il ne m'accuse de démence et me conduise à l'asile ? songé-je en soupirant.
Dans cet état pensif, du bout de ma fourchette, je joue avec la nourriture dans mon assiette, la triant encore et encore sans rien porter à ma bouche. Ce divertissement inconscient irrite ma mère qui ne peut s'empêcher de tapoter son pied frénétiquement au sol. Ce rythme trahissant son agacement force mon frère et mon père à relever la tête de leurs assiettes. Ils savent que ce bruit est annonciateur d'un cyclone colérique qui va se heurter sans plus tarder sur le coin de ma tête.
- Tu vas manger, oui, ce n'est pas un jeu, c'est de la nourriture, me gronde-t-elle, les yeux écarquillés par la colère.
Je sursaute sur place, la surprise de cette voix que je ne lui connaissais pas m'arrache de mes pensées. Je balaye mon regard sur l'ensemble de l'assemblée, constatant que ce ressentiment est partagé de tous. Mon père m'observe avec dureté, les lèvres pincées pour ne pas laisser échapper un mot qu'il regretterait plus tard.
- Je n'ai pas faim, bégayé-je tout bas dans ma barbe en baissant la tête.
Cette réponse exaspère davantage la tablée dont ma mère qui pose violemment le dernier plat sur la table en bois massif de notre salle à manger avant de se pencher sur moi. Son visage m'effraie, je ne l'ai jamais vu aussi énervée, son comportement m'oppresse.
- Tu as vu dans l'état où tu es, c'est quoi le but de tout ça ! me crie-t-elle.
Je m'enfonce dans ma chaise à la recherche d'un soutien du reste de ma famille, mais rien, personne ne vient à mon aide. Mon père observe toujours la scène, la mâchoire serrée, approuvant par un hochement de tête les propos de ma mère. Mon frère regarde son assiette, se faisant tout petit pour éviter de prendre une balle perdue dans cet échange explosif.
- Tu as perdu énormément de poids, donc mange, ordonne mon père sur un ton sévère qu'il n'a jamais employé à mon encontre.
On dirait qu'une personne n'est plus à sa place dans cette famille, me chuchote cette voix hideuse.
Cette chose émerge du plus profond de mon esprit au moment le plus inopportun possible, se délectant de la situation. Elle se matérialise devant moi allongée sur la table, rajoutant plus de tension dans mon être. Je scrute l'absence de réaction des personnes présentes pour comprendre que je suis la seule à voir ce monstre.
- Non, articulé-je pour répondre à cette engeance de malheur.
Ce mot sorti maladroitement de ma bouche en réponse à ce démon n'est pas bien accueilli par mon père dont la patience s'émousse à mesure que les secondes passent. Je rougis de honte en voyant son visage viré à la colère face à mon audace de lui répondre. Je panique sur ma chaise, je veux m'expliquer, mais j'ai le sentiment que plus j'essaie, plus je m'enlise dans une spirale de haine. Ma respiration devient courte, les larmes montent.
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Métérise - Tome 1 - L'éveil De La médium
HorrorStéphanie, une jeune adolescente ordinaire affronte son quotidien armé de son manque de confiance en elle et de ses complexes. Ayant pour seule préoccupation l'amour à sens unique qu'elle couve depuis des années pour le capitaine de l'équipe de bask...