Cette nuit-là, l'orphelinat Saint Mary fut arraché à son sommeil par des hurlements à glacer le sang. Dans les dortoirs, les enfants se redressèrent d'un bond dans leurs lits, le cœur battant à tout rompre.
Ils sortirent de leur chambrée, se demandant ce que pouvait signifier de pareils cris à une heure aussi tardive. Ils se précipitèrent pieds nus dans le couloir, fouettés par les courants d'air. Les cris provenaient du bâtiment voisin, celui des filles.
À toute vitesse, ils traversèrent la cour pavée. Arrivés devant la porte close du dortoir, ils stoppèrent net. Les hurlements intempestifs avaient cessé, ne laissant place qu'à des gémissements de moindres intensités derrière le battant.
Ils poussèrent la porte du dortoir. Ils restèrent immobiles en voyant ce qu'il y avait au centre de la pièce. C'était affreux.
Un corps maigre pendait à une corde sous la grosse poutre. C'était une petite fille. Ses pieds ne touchaient pas le sol. Sa tête était penchée en arrière et son visage était blanc. Ses yeux étaient sortis de leurs orbites, comme si elle regardait quelque chose qu'on ne pouvait pas voir.
Tout autour, des surveillantes en chemise de nuit s'agitaient en pleurant et tentaient tant bien que mal de contenir les pensionnaires." Calmez-vous, les enfants, ça va aller " disaient-elles. Mais les fillettes hystériques continuaient de hurler, se couvrant le visage pour ne pas voir cette scène peu ordinaire.
Michael, l'un des garçons venu pour voir ce qui se passait se précipita en trébuchant vers la pendue, et éclata en sanglots déchirants.
D'une voix brisée, il appelait le prénom de la défunte: "Sarah, non Sarah pas toi" et il la tenait fort contre lui, comme si ça pouvait la faire revivre. Sarah était sa sœur. Ils étaient arrivés dans cet endroit pour les enfants sans parents il y a sept jours.
Un peu en retrait, un autre garçon observait la scène. Choqué, il s'approcha lentement de Michael. Il posa une main qui se voulait réconfortante sur son épaule. "Michael... Michael..." essayait-il de le calmer en appelant ainsi son nom.
Mais il comprit vite que devant une telle détresse, aucun mot ni geste ne pourrait apaiser sa douleur. Alors, la gorge nouée, il s'assit simplement à ses côtés en silence.
Autour d'eux, le tumulte ne faiblissait pas. Certains enfants priaient à genoux, d'autres continuaient de hurler. Quelques pensionnaires s'étaient enfuis dans le parc , incapables de supporter plus longtemps cette vision cauchemardesque.
Les surveillantes s'employaient à présent à isoler le corps sans vie en tirant un paravent autour de lui. Mais il était trop tard, tous avaient eu le temps d'observer dans les moindres détails l'expression figée de la pauvre enfant. Et surtout la marque violacée que le nœud coulant avait laissée autour de son cou gracile.
l'orphelinat Saint Mary était un imposant bâtisse qui se dressait tel un sombre vaisseau de pierre échoué dans la campagne vallonnée aux abords de la petite ville de Brentwood, en Virginie. Construit en 1892, ce bâtiment austère aux allures de forteresse accueillait les orphelins des familles ruinées après la Grande Dépression qui avait frappé les le pays.
Derrière les hauts murs d'enceinte parsemés de lierre, régnait une atmosphère monacale rigide, sous la houlette de Sœur Agnès, la directrice. Celle-ci dirigeait un personnel de quinze surveillantes qui s'occupaient des 130 pensionnaires. Leurs journées étaient réglées au cordeau, rythmées par la prière, de rudes travaux manuels et les frugaux repas servis dans le réfectoire.
Le bâtiment principal était flanqué de deux ailes symétriques abritant les dortoirs, séparés filles et garçons. De hauts murs entouraient la cour centrale où les enfants passaient leurs récréations à jouer dans le froid ou la neige selon la saison. Au fond, on apercevait le potager ainsi que le verger qui permettaient de compléter l'ordinaire.
