Chapitre 9 [Je n'ai pas de famille]

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 — Bon, avant toute chose, il faut que tu te trouves ton propre instrument.

Au matin, Liktor avait construit sa toute première maison, suivant les conseils de son complice Ayis. L'édifice n'était pas très stable, mais correspondait à sa personnalité : un bâtiment haut et fin, semblant sur le point de s'écrouler. Mais il tiendrait bon. Ayis y avait ajouté une cave afin qu'ils puissent faire leurs premiers essais musicaux sans gêner les autres habitants d'Onivers.

— Et comment ? Je te rappelle que je n'ai jamais fait de musique de ma vie.

— Tu veux que je te dise un secret ? Eurystée et moi non plus. Si tu nous mets une guitare entre les mains, nous serons incapables de faire un accord. Notre musique, elle ne repose pas sur la virtuosité technique. Je te rappelle que nous sommes dans un rêve. Et quel est le mot-clef du rêve ?

— L'imagination ? hasarda-t-il.

— Exactement ! Nous avons imaginé nos instruments de toutes pièces. Et pour jouer, nous imaginons le morceau. Nos corps se contentent de suivre. Ici, c'est l'esprit qui prime.

— Mais comment faites-vous pour vous accorder ?

— C'est là toute la magie. Tu t'en rendras compte quand tu arriveras à ce stade. Alors maintenant, tu vas fermer les yeux et te laisser guider. Oublie tout ce que tu as appris, la logique, les mathématiques, les lois formelles. Libère ta créativité.

Plus facile à dire qu'à faire. Liktor n'était arrivé que la veille et n'était pas encore à l'aise avec les règles d'Onivers. De même, il craignait de vider entièrement son capital onirique.

Cependant, il obéit aux conseils de son ami, ferma les yeux et souffla longuement. Plusieurs instruments apparurent dans son esprit, mais il les chassa. Ils ressemblaient trop à ceux déjà existants. Non, il fallait quelque chose de plus simple, de plus épuré. Ayis avait un tapis, Eurystée une table. Puis une lumière s'alluma dans son esprit. Ils voulaient des cordes ? Alors ils en auraient.

Une centaine de cordes apparurent et encerclèrent Liktor comme un cocon protecteur. Il sauta et se plaça en équilibre sur un fil, chose qu'il n'aurait pas pu réaliser dans le monde réel.

Ayis pinça une corde et esquissa un sourire de satisfaction.

— Essaie de jouer quelque chose, maintenant.

— Comment ?

— Tu récites une mélodie dans ta tête. Et tu laisses ton corps agir.

Il décida de commencer par un chant basique, une comptine qu'il avait apprise à l'école. Un rythme lent, répétitif. Et effectivement, son corps se mit en mouvement. Il pinça les cordes une à une, avec les mains, avec les pieds, se contorsionnant pour atteindre des notes plus lointaines. Ce n'était pas du niveau d'Ayis et Eurystée, mais ce n'était pas si mal. Il n'était pas encore à l'aise ; ses gestes étaient décousus, brusques ; mais le chant s'éleva.

Sonnent, sonnent, sonnent les cloches...

La voix, venue de nulle part, le déconcentra. La mauvaise note fit grimacer les deux hommes.

— Ouch ! s'exclama Ayis. Y a encore du travail !

— Tu n'as pas entendu ?

— Quoi ?

— La voix... la voix de Mélodie...

— Et c'est parti, tu délires comme Eurystée... Je commence à penser qu'il faudrait vous créer un hôpital psychiatrique...

Il roula des yeux. Liktor, lui, recommença l'exercice. Mais même s'il s'améliorait à chaque essai, la voix ne revenait pas, sans doute vexée par sa fausse note.

Le Chant du LoriotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant