Le lendemain, Lua se rendit au BADGE presque à reculons. Elle n'avait aucune envie de retrouver le petit cabinet, et pire : son tyran de professeur. Elle avait songé à toquer chez les Périsse pour venir avec Koran, mais avait renoncé. Elle risquait à terme de lui poser des problèmes.
Elle arriva dans les couloirs des Chasserêves, manqua de se perdre plusieurs fois mais entra finalement dans le cabinet, vide pour l'instant. Elle était pile à l'heure. Elle posa son sac, qui contenait le masque et les boules de cire données la veille, et attendit. Quelques minutes plus tard, une femme entra en s'excusant :
— Désolée pour mon retard, mais j'ai dû batailler ferme avec Créon pour t'avoir une matinée... Il est très possessif !
Leurs regards se croisèrent.
— Oh, mais tu es encore plus mignonne que ce que je pensais ! Tu t'appelles comment ? Ah, oui, Lullaby ! Tu permets que je t'appelle Lua ?
Éberluée, Lua dévisageait cette étrange créature qui venait de faire irruption dans le bureau. Assez grande, mais aussi corpulente, elle portait ses cheveux blonds ramassés en une longue queue de cheval. Elle semblait avoir une quarantaine d'années, peut-être davantage. Ses yeux bleus brillaient de mille feux.
— Vous êtes ?
— Oh, excuse-moi, je manque à tous mes devoirs ! Hastianne, Melwire Hastianne. Je serai ta professeure de temps en temps... Quand Créon voudra bien me laisser la place !
Cette fois, elle resta littéralement sans voix. La générale, elle se trouvait en face de la générale des Chasserêves, une légende vivante ! Beaucoup en parlaient, peu avaient eu le privilège de la rencontrer en chair et en os. Lua avait imaginé une femme mince, sèche, cassante, efficace. Un peu à l'image de sa mère. Mais non : cette femme, avec ses kilos en trop et sa voix suave, donnait une toute autre image du métier.
Elle ne put s'empêcher de demander :
— Madame Hastianne, excusez-moi, mais je ne comprends pas... Pourquoi tant d'égards envers ma personne ? Je pourrais... Je pourrais juste aller avec les autres, vous ne pensez pas ? Vous n'avez pas à perdre ce temps précieux avec moi...
— Je ne perds absolument pas de temps. Comme j'ai lancé un petit défi à un Dissident, la chasse est suspendue pendant une semaine... de leur côté. Soit un mois et demi du nôtre ! Autant te dire que je dois trouver de quoi m'occuper.
Lua eut soudain l'étrange sensation de n'être qu'une source de distraction, un cobaye pour une expérience inédite.
— Entrons dans le vif du sujet. Rêve.
Elle haussa les sourcils. C'était tout ? Pas de cours théorique, pas d'exercices particuliers ? Rien que cette consigne, rêve ? Devant son désarroi, Melwire précisa :
— Je vais te faire travailler. Mais pour ça, j'ai besoin d'une matière première. Créon m'a envoyé tes premiers essais, mais je préfère avoir une vision en direct.
— Comme vous voulez.
Elle s'allongea, mit le masque et les boules de cire, ferma les yeux et glissa assez rapidement dans le sommeil.
♪
Impact.
Lua se redressa, chassa la sensation de douleur.
« Tu es dans un rêve. »
« Contrôle. »
Pour la première fois depuis le début de son apprentissage, qui datait de la veille, elle réussit à voir. Cependant, le paysage n'était pas digne d'intérêt. Un champ à perte de vue. Malgré tout, elle caressa les herbes du bout des doigts. Savoura le contact. Rien d'artificiel ici, mis à part peut-être cette petite maison, au loin...
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Le Chant du Loriot
Science FictionDans la société régie par le BADGE (Bâtiment de l'Administration Générale), le rêve a été décrété ennemi absolu et les vies des habitants sont contrôlées par une puce figée dans leurs cous et par un bracelet électronique, nommé Tech'let, accessoire...