Liktor écarta les paupières et fut saisi d'une quinte de toux. Une douleur secoua l'intégralité de son corps.
« Les joies du retour à la réalité... »
Son corps, trop longtemps endormi, se réanima au ralenti. Il agita les bras, puis les jambes ; il échauffa ses muscles les uns après les autres avant d'observer son environnement. Il se trouvait dans un cocon transparent. Une perfusion était reliée à son bras, une électrode posée sur son cœur. Il les arracha. Pas d'alarme. Lua n'avait pas menti. Remarquant que le cocon était constitué de plastique, il le déchira comme s'il s'agissait de papier.
Autour de lui, dans d'autres cocons, les Dissidents se réveillaient et sortaient de leur prison, comme des papillons. Et bientôt, il constata quelque chose d'étrange. Il ne reconnaissait personne. Puis il se souvint que si dans les rêves les individus ne vieillissaient pas, leurs corps dans la réalité subissaient toujours les ravages du temps.
« Ce qui signifie que... Ayis et Eurystée... »
Il se rendit compte qu'il ignorait encore beaucoup de choses sur ses amis. Depuis combien de temps vivaient-ils à Onivers ? Il avait pu jauger la durée pour Eurystée par rapport à sa fille ; mais il l'ignorait totalement pour Ayis. Saurait-il les reconnaître ?
— Hé, Liktor ! T'as pas changé d'un poil !
Il se retourna pour faire face à un homme âgé d'au moins soixante ans. Mais il reconnut aussitôt Ayis à ses petits yeux et à son nez de fouine. Le reste de ses traits était masqué par des rides.
— Ayis... C'est toi ? C'est vraiment toi ?
— Eh oui ! Surprenant, n'est-ce pas ? Je n'avais pas pensé à cette donnée, en acceptant de suivre Lua. Mais bon, je suis loin d'être le pire ! Tu as vu la tronche que se paie Eurystée ?
Du doigt, il désigna un homme d'une quarantaine d'années. Liktor plissa les paupières avant de l'identifier. Oui, c'était bien Eurystée, tel qu'il l'avait vu dans le pire cauchemar de l'humanité. Une tignasse de cheveux roux, des yeux émeraude, des traits fins et élégants. Lui qui aimait tant se dissimuler derrière une fausse apparence ne pouvait plus se cacher. Malgré tout, il adoptait toujours cette moue de clown triste, de Pierrot désabusé. Son teint grisâtre renforçait cette impression.
— Alors ? C'est comment, de récupérer son corps ? le nargua Liktor.
— Ferme-la ! Tu ne peux pas savoir ce que ça fait !
— Par contre, intervint Ayis, est-ce qu'on pourrait chercher mon père ? Je m'inquiète pour lui... Il doit être presque centenaire...
— Ayis ?
Une femme l'avait interpellé. Son visage affichait une profonde tristesse. Il s'approcha, suivi de ses amis qui tentaient de s'habituer à leurs corps.
— Je suis désolée... Je crois qu'il n'a pas supporté la transition...
— Je ne comprends pas...
— Regarde par toi-même.
Dans le cocon, un vieillard aux muscles atrophiés par des décennies d'immobilité. Dans le cocon, un vieil homme vêtu d'une tunique et d'un pantalon blancs. Dans le cocon, le père d'Ayis, le maire de leur petite communauté, le repère d'une centaine d'individus...
Son électrocardiogramme était plat.
— Papa... ?
Une plainte déchirante. Ayis avança d'un pas, déchira le cocon et prit, avec une tendresse infinie, la main de son père.
— Papa ? Papa, tu m'entends ? Tu ne peux pas me faire ça... Tu ne peux pas me faire ça maintenant... Je suis faible, papa, même à soixante-dix ans j'ai besoin de toi...
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Le Chant du Loriot
Science FictionDans la société régie par le BADGE (Bâtiment de l'Administration Générale), le rêve a été décrété ennemi absolu et les vies des habitants sont contrôlées par une puce figée dans leurs cous et par un bracelet électronique, nommé Tech'let, accessoire...