Chapitre 2 [Sois heureuse, Lua]

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Nous sommes le samedi 23 septembre... Météo du jour : pluie, prévoir les vêtements de 16°... Rappel : 52 Dissidents sont encore en fuite. Le BADGE compte sur votre aide.

À 5 heures du matin, Lua s'éclipsa de la maison sans se soucier d'être discrète : ses parents étaient restés dormir à l'hôpital. Elle seule était rentrée pour préparer son mariage. Cette solitude était la bienvenue. D'ici quelques heures, elle perdrait toute forme d'intimité et de vie privée.

Elle en avait assez, de presser sa liberté contre les barreaux de sa cage sans parvenir à la faire sortir. Elle en avait assez, de lutter. Elle avait décidé de se laisser aller sans faire de remous. Elle avait suffisamment causé de souffrance comme ça. Les destins de Yun et de Liktor lui revenaient perpétuellement à l'esprit.

En tentant de sauver l'un, elle avait condamné les deux.

Elle serrait dans son poing la plume du loriot que Yun avait ramassée quelques mois auparavant. Elle l'avait retrouvée la veille, alors qu'elle avait poussé la porte de sa chambre en espérant qu'il soit là, comme si rien n'était arrivé. Un espoir cruellement déçu. Perdue, elle avait fouillé la pièce de fond en comble pour chercher des traces de son petit frère, n'importe lesquelles. Sous son oreiller, elle avait trouvé la plume jaune et ne l'avait plus lâchée depuis. C'était un fragment de Yun. Une preuve que ses souvenirs étaient réels.

Elle n'avait que peu fermé l'œil depuis mercredi et avait toujours besoin d'une béquille pour marcher. Son corps refusait de récupérer du choc psychologique qu'il avait subi. Elle s'y était accommodée. Elle se demandait juste comment elle allait supporter le poids de sa robe.

Lua s'engouffra dans la forêt en frissonnant. Elle avait juste enfilé une petite laine au-dessus de sa chemise de nuit et avait volontairement oublié son parapluie. Elle appréciait sentir l'eau glisser le long de sa peau.

« De toute façon, qui sortirait à une heure pareille ? »

Elle voulait profiter du calme avant la tempête, tempête qui portait le nom de mariage. Petite, elle avait souvent rêvé de cette journée. Adulte, elle ne souhaitait qu'une chose : fuir. Mais elle ne pouvait plus.

« Assume tes erreurs. »

Trois jours de marasme. Trois jours d'asphyxie et d'apesanteur. Elle avait abandonné la logique, le sens des réalités. Elle allait épouser Léno pour rendre hommage à Liktor, pour connaître une éternité de souffrance. Une éternité de privations.

La forêt était sombre et silencieuse. Pas un éclat de lumière : les nuages bloquaient les rayons du soleil. Ses pieds s'enfonçaient dans une boue artificielle, rendant sa progression difficile. Le vent agitait les arbres, véritables ombres mouvantes. Pourtant, elle n'avait pas peur. Elle connaissait les lieux comme sa poche et savait qu'elle pouvait s'y ressourcer. Peu importaient les caprices de la météo.

Plus elle avançait, et plus les muscles de ses jambes se déliaient. Elle se laissait porter par la force de ses souvenirs jusqu'à atteindre la clairière où elle avait entendu avec son frère le chant du loriot.

Pas un son, pas une note de musique. Les loriots avaient tous été tués par les agents d'entretien, comme des parasites. Pas de Yun non plus. La nostalgie gonfla son cœur. Elle s'assit sur le tronc le plus proche et inspira longuement. Elle regarda le ciel à la recherche d'un quelconque signe. En vain.


Sonnent, sonnent, sonnent les cloches...


Où avait-elle entendu cette chanson ? Sa mémoire lui faisait défaut.

Quand elle perçut des bruissements dans les taillis, elle ne bougea pas d'un millimètre. Elle ne fut même pas surprise de l'arrivée d'Eurystée dans la clairière. Non habituée à son vrai visage, elle mit quelques secondes à le reconnaître.

Le Chant du LoriotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant