Chapitre 4 [Et chantons ensemble]

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De retour dans sa cellule, Créon lui ôta les menottes et annonça :

— Ta mise à mort a été prononcée pour demain matin à 10 heures. Les Dissidents, eux, quitteront les territoires du BADGE à midi. La cour a jugé qu'ils avaient le droit d'assister à ton exécution.

Il avait craché ce dernier mot comme s'il lui brûlait les lèvres. Lua eut de la compassion pour ce vieil homme. Malgré son apparente froideur, elle avait appris à l'apprécier.

— Conformément au protocole, tu as le droit de formuler une dernière volonté. Le BADGE choisira de l'honorer ou non. Y as-tu réfléchi ?

— Oui. Ma dernière volonté, c'est de rencontrer le responsable de toute cette mascarade. Avant de disparaître, je veux savoir.

Ses yeux affichaient une toute nouvelle détermination, une force qu'elle ne se soupçonnait pas.

— Très bien. Je transmets le message.

Il tapa quelques mots sur son Tech'let et appuya sur le bouton d'envoi. En attendant la réponse, il s'assit à même le sol en face de la porte de la cellule. Lua le regarda sans parler.

— Tu es rayonnante.

Elle était encore en pyjama, ses cheveux n'étaient pas coiffés mais elle devina qu'il parlait de son état mental. Elle n'était plus égarée : pour la première fois depuis plusieurs années, elle savait exactement quoi faire et quelles questions poser.

Le Tech'let de Créon s'illumina. Il se releva, sortit une clef de sa poche et ouvrit la porte de la cellule.

— Par contre, je te passe les menottes. C'est obligatoire.

Elle obtempéra bien gentiment.

Revenus dans le hall du BADGE, Créon la guida dans le bâtiment A. Il la fit entrer dans un autre ascenseur, qui cette fois s'éleva vers les cieux. À chaque étage, l'appréhension de Lua augmentait. L'une des plus grandes énigmes de sa vie allait trouver sa solution. Elle allait savoir qui était responsable de la mort de Liktor, et par extension qui tirait les ficelles de la société. Elle allait accéder à un secret que tous ignoraient et qu'elle ne pourrait jamais diffuser. La vérité mourrait en même temps qu'elle.

L'ascenseur s'immobilisa au dernier étage du bâtiment. Ils s'engouffrèrent dans un vaste couloir. Les nombreuses fenêtres, de tailles et de formes variées, laissaient filtrer les rayons du soleil. Cette prolifération de sources de lumière rendait les lieux chaleureux et accueillants, malgré l'absence de décoration. Sur certains murs étaient accrochés des miroirs. Lua s'amusait à découvrir son reflet, qui lui renvoyait l'image d'une reine déchue. Elle était enfin en adéquation avec elle-même.

Un unique couloir. Pas d'autres salles. Le BADGE avait le sens de la mise en scène. Créon s'arrêta devant une porte. Un panneau accroché au mur annonçait 171-A.

— Je n'ai pas le droit d'aller plus loin, indiqua son guide. Je t'attends ici.

Le cœur battant, Lua regarda Créon poser sa main sur la poignée. Elle prit une profonde inspiration et entra dans la pièce.

La salle était circulaire et les murs transparents : elle devina qu'il s'agissait d'une Bulle, comme celle de sa salle de classe. Pas la moindre décoration, pas le moindre meuble. S'agissait-il vraiment du lieu de vie ou de rendez-vous des membres du BADGE ? Elle se demanda soudain si on ne lui avait pas joué un tour, mais il était trop tard pour faire machine arrière.

Elle remarqua alors, au centre de la pièce, un grand miroir. Vieux et tacheté, comme celui de ses rêves. Elle s'en approcha et l'effleura du regard, savourant son relief si particulier. Elle laissa la nostalgie l'envahir. En l'espace de quelques semaines, elle avait cru connaître le bonheur entourée des siens ; elle avait subi de cruelles désillusions, de terribles moments ; elle s'était découverte manipulée ; mais elle avait aussi grandi et mûri. Elle lut une toute nouvelle sagesse dans son regard.

Le Chant du LoriotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant