Lettre à Élise

3

     Le village de Calenzana était ancré dans les terres mais, lorsqu'on se tournait vers le nord, on pouvait apercevoir la Méditerranée. Il était encore tôt quand nos chaussures de marche ont commencé à fouler les rues du village. La glycine décorant les murs dégageait toujours les senteurs de rosée du matin. Quelques chats nous zieutaient derrière fenêtres et jardinières, pourtant le village dormait, retardant l'heure du réveil.

Katie et Mahé, sans doute les plus responsables du groupe, nous ont chargés de trouver une supérette pour acheter de quoi manger le midi, tandis qu'ils allaient prendre quelques informations à La Maison du GR20 située à l'entrée sud du village.

Nous nous sommes séparés. Jules a sorti son portable et s'est mis à pianoter.

— Tu fous quoi ? ai-je grogné.

— Je regarde où on peut trouver à graille.

— Mec, tu violes le pacte anti-technologie du voyage, là.

— T'as pris ta caméra. À partir de là t'as plus de droit de nous faire la morale, a-t-il rétorqué.

— Ouais, mais la cam' de Cléo ne peut pas communiquer avec le monde extérieur. Tu triches, Jules, m'a soutenue Clémentine.

Elle avait sorti son miroir de poche et poudrait son visage. J'ai grimacé. Nous étions au milieu d'une place, cramant déjà sous le soleil, ce n'était ni l'endroit ni le moment de faire ça. Mais comme elle semblait vouloir me défendre, je n'ai rien dit.

J'ai chopé le téléphone de Jules d'une main en tirant Clem de l'autre.

— Venez par là, je suis sûre qu'on va trouver.

Je nous ai guidés dans une rue ombragée, attirée par l'odeur des croissants chauds cuits à l'aube. Clémentine a pesté mais a rangé son maquillage dans sa pochette et Jules a tenté de récupérer son Précieux.

— Tu déconnes, a-t-il juré. J'vais pas tenir dix jours sans m'emplir de YouTube et de Twitch. Et puis, comment on va faire pour s'orienter dans la montagne sans le GPS ?

— On va utiliser une carte et les balises. Tu sais, pour nous imprégner pleinement du monde autour de nous, revenir à nos racines primitives.

Il a expiré toute sa frustration.

— Avec mon téléphone, on aurait déjà trouvé un pique-nique.

— Tu nous fais chier, a lâché Clem en s'immisçant entre lui et moi. Regarde, Cléo a trouvé.

Effectivement, la ruelle que nous avions arpentée débouchait à l'angle d'une rue plus grande où une boulangerie vieille comme le monde semblait avoir pris place. Les yeux de Jules se sont alors rallumés. Il a serré Clémentine dans ses bras et m'a ordonné :

— Garde mon portable au fond de ton sac, j'en ai plus besoin.

Les senteurs qui émanaient de la boutique nous ont fait accourir. Nous avons collé nos nez à la vitrine, bavant devant les brioches coulant de sucre qui étaient exposées.

— J'peux vous aider ? a sifflé une voix dans notre dos.

Elle avait un accent chantant qui m'a immédiatement plu. Nous nous sommes tournés vers elle, la bave gourmande encore coulante au coin de nos lèvres. C'était une femme aux cheveux tout aussi sombres que le noir de ses yeux. Elle nous a souri, dévoilant ses dents de traviole qui lui offraient un charme aussi biscornu que celui de son village.

— Vous, vous êtes là pour le GR ou je ne suis pas d'ici, a-t-elle ajouté, faisant résonner son rire brut dans les rues alentour.

— On cherche de quoi pique-niquer en haut de la montagne, a expliqué Jules, tout sourire.