11

95 29 94
                                    

— Je prends le plus gros steak-frite que vous avez !

— C'est pas toi qui choisiras lequel tu vas manger, Jules, l'a rouspété Katie en offrant à la serveuse un regard désolé.

Cette dernière a acquiescé poliment puis s'est tournée vers Jules, cette fois en affichant un sourire enjôleur.

— Je vais faire ce que je peux.

J'ai gloussé dans ma main. Les yeux de Mahé, tout autant amusés, ont roulé dans leur orbite lorsqu'ils ont capté les miens. Assis l'un en face de l'autre, nos pieds se sont cherchés pour se taquiner.

La serveuse a pris nos commandes avant de s'éclipser.

— Elle était charmante, ai-je roucoulé.

— Un sourire à tomber, a ajouté Mahé.

— Elle avait surtout une piste rouge à la place du front, a dit Katie avec dédain.

Jules n'a saisi aucune de nos subtilités et a passé sa langue sur ses lèvres d'un air gourmand.

— Tant qu'elle me ramène un gros steak.

Nous n'avions plus de nouvelles de Clémentine depuis que je l'avais laissée dans le hall de l'auberge. J'avais rendu à Jules son téléphone, qui avait survécu aux infiltrations de mon sac, pour qu'il la contacte. Elle n'avait répondu à aucun de nos appels, nous ne savions pas si un taxi avait fini par accepter de la déposer à Calvi ou non. Nous essayions de ne pas laisser l'inquiétude gâcher notre soirée bien méritée. Après tout, elle avait fait son choix, seule.

— Erwan s'est cassé le pif, matez ça, a jubilé Jules devant son téléphone alors que nous attendions notre commande.

Il nous a montré la story que notre ancien camarade de licence avait posté sur les réseaux sociaux.

— Il s'est battu ?

— Non, il s'est gamellé en skate.

— Vous pensez que sa note est maintenant descendue à combien ? a ricané Katie.

— Je lui donne un deux, qu'il finisse derrière Noémie Fauch, ai-je répondu. Ça lui apprendra.

Nous ne le côtoyions plus mais gardions une animosité que nous n'avions jamais pris la peine de dissimuler envers Erwan. Ce gars, ayant pourtant vingt-deux ans comme Mahé et moi, s'était plu à donner une note aux filles de notre ancienne promo avec pour seul critère : leur beauté.

J'avais eu la chance de me le coltiner durant qu'une seule année avant de vite fuir vers la fac de lettres, mais mes amis avaient dû le supporter toute leur licence. La troisième année, Katie avait fini par le confronter lorsque le bruit avait couru qu'il avait donné un quatre à Clémentine. L'été s'en était allé et une poussée d'acné avait grignoté son menton. Nous n'avions pu laisser passer ça.

Le voir défiguré nous a satisfaits.

— Allez, coupe ton portable, ai-je maugréé en essayant de reprendre l'objet des mains de Jules.

— JAMAIS !

Il a esquivé mes tentatives avec surjeu.

— Ça va, laisse-le-lui au moins ce soir.

« Oh, ça va. »

J'ai dévisagé Katie avec plus de dureté que je ne l'aurais voulu. Ses mots me parasitaient encore l'esprit. Je les avais trouvés d'une violence infinie. Trois petits mots innocents comme trois balles dans la tête. Quand le bonheur des uns fait chavirer les autres.

Lettre à ÉliseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant