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— Non mais, si tu lui joues une note aiguë dans l'oreille, ça réglerait le problème bien plus vite !

— Qu'est-ce que t'es con quand tu t'y mets !

— On fait quoi ?

— Je ne sais pas, secoue-la encore...

Des chuchotis comme le bruissement des feuilles d'un bois m'ont extraite d'un sommeil lourd. Le premier sans rêve depuis des mois. J'ai éclos mes paupières traînantes.

— Enfin !

Les têtes de mes quatre camarades étaient penchées sur moi. J'ai râlé en enfonçant mon visage dans mon duvet.

— Il est neuf heures Cléo, neuf heures ! s'est plaint Jules en me secouant. On est les derniers au refuge.

— Ça ne change pas de d'habitude, ai-je grogné.

— Faut qu'on y aille, a supplié Mahé.

Je me suis levée. Ils étaient déjà habillés, prêts pour le départ de la cinquième étape du GR20. Ma tête me sonnait, mon cerveau semblait se balancer dans son liquide. J'ai contemplé mes affaires qui gisaient hors de mon sac, au sol, puis j'ai relevé mon regard vers mes amis. Ils me fixaient comme un petit animal de cirque.

— Quoi ? J'ai pris que deux shots, me suis-je maigrement défendue. J'étais fatiguée et j'avais rien mangé, c'est tout.

Katie s'est pincé les lèvres pour se retenir de rire, Jules a épousseté son bob Ricard d'un air mutin.

— Au moins on a bien rigolé, ai-je ajouté.

Cette fois, le rire de Katie s'est libéré en versant ses éclats. Clémentine s'est étalée sur mon lit, ravie.

— Toi oui, en tout cas !

Même Mahé a fini par pouffer.

J'ai ri avec eux comme si je savais de quoi la soirée avait été faite, mais je n'en gardais que des brides dispersées. Chris qui nous servait, Mahé qui animait de chansons le refuge, Jules qui s'essayait au rap. Puis une résidente en pyjama qui demandait le calme, et nos corps qui infiltraient la nuit. Pénombre, frissons, oubli.

J'ai rassemblé mes affaires pour les fourrer dans mon sac, Katie m'a aidé à plier vite mon duvet et, une fois changée, nous avons pu partir.

J'étais comme un épouvantail empaillé, rigide de mes mouvements, les rouages de mes articulations fanées.

— Plus jamais je bois, ai-je pesté tout haut.

Et je le pensais vraiment. Plus jamais.

— Tu ne diras pas ça quand un pastis bien chaud nous attendra sur le vieux port à l'arrivée, s'est amusé Jules en me prenant par l'épaule. Remémore-toi l'odeur, la texture sous ta langue, ce goût aussi exquis qu'unique.

Il a humé l'air en fermant les yeux comme si la boisson se trouvait entre ses paumes.

— Il n'y a que toi qui aimes ça, l'a coupé Clémentine.

— Tu déconnes, ça rentrera un jour dans le patrimoine de l'Unesco.

Je me suis dégagée de son emprise pour accélérer le pas. Je n'avais pas envie de les entendre se chamailler, ni même de rire d'alcool et d'illusions. Boisson qui crée du flou, atténue les souvenirs et saccage les émotions. J'avais trop bu d'alcool et mon corps n'en voulait plus. Neuf mois que je n'y avais plus touché et voilà qu'hier j'avais succombé. Mon état était si laid que j'avais envie de gerber encore et encore, déverser ces molécules infâmes qui glissaient dans mes entrailles.

Lettre à ÉliseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant