Chapitre 3 - Anna

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Avant que Monsieur Jacobson ne disparaisse derrière la porte de son bureau, près de l'entrée de l'hôpital, une femme blonde d'une quarantaine d'années, aux courbes généreuses, vient à ma rencontre et me tend sa main.

— Je suis Clarissa, une des infirmières du service. J'espère que Monsieur Jacobson ne t'a pas trop effrayée, il est un peu abrupt au premier abord. Mais ne t'inquiète pas, il n'en reste pas moins gentil.

Je lui serre la main et lui adresse un sourire contrit. Malgré sa franchise qui se reflète dans ses yeux couleur océan, je n'en suis pas convaincue. Avec moi, sa gentillesse ne l'a jamais étouffé. Mais pas question d'être impolie et de se faire remarquer.

— Anna, je me présente à mon tour. Je te fais confiance, tu le connais mieux que moi !

Elle me sourit et se tourne vers le petit groupe déjà en pleine conversation, dont je n'ai pas retenu les noms, sauf celui de mon binôme, évidemment. Elle me rappelle rapidement le patronyme de chacun de mes confrères, en les désignant du doigt, et je ne peux que la remercier pour cette attention.

— Le grand chauve, là-bas, c'est mon binôme, Sébastian. Très gentil, mais très taquin aussi, alors méfie-toi !

Je ris doucement face à son avertissement et j'acquiesce par un hochement de tête. Si elle ne me l'avait pas dit, je pense que je l'aurai deviné. Un sourire constamment figé sur le visage, un rire moqueur qui s'élève, des tapes dans l'épaule de son interlocuteur... Tout ceci agrémenté d'un regard espiègle. Il n'y a pas de doute sur le fait que nous avons un clown dans l'équipe. Et je dois avouer que cela me ravie, c'est un potentiel allié entre ces murs.

— Et cette belle plante qui est à ta droite, c'est Aimée, me confie-t-elle quand cette dernière passe juste à côté de moi. Plus qu'un an à nos côtés avant la belle vie de retraitée.

Aimée, une femme noire aux traits épais dont la chevelure attachée négligemment lui confère un air accessible, s'arrête à ma hauteur et pointe Clarissa du doigt.

— Non, je ne ferai pas tes corvées ! lui dit-elle avec un fort accent des îles, en m'adressant un clin d'œil.

Clarissa se met à rire et la regarde partir. J'en fais de même et accueille avec joie la légèreté de ce moment entre collègues. L'adrénaline de ce matin s'envole et je ne pense plus qu'à l'instant présent. Finalement, je vais peut-être me plaire ici.

— Et lui, c'est Joshua, ton binôme, termine-t-elle souriante.

Mon sourire s'efface en une seconde, je ne balance pas le sarcasme qui me démange concernant cet homme, mais ce n'est pas l'envie qui me manque... Depuis que le directeur est parti, son indifférence et sa nonchalance envers moi sont tellement exagérées que c'en est pathétique. A la place, je fais un signe de tête pour acquiescer.

— Et qui est le binôme d'Aimée ? je lui demande, intéressée.

— Elle n'en a pas, Aimée est là pour nous donner un coup de main et gérer la « logistique », souligne-t-elle avec ses doigts, dans les activités que nous proposons aux patients. Mais tu verras tout ça au fur et à mesure.

Dommage qu'Aimée ne soit pas infirmière au même titre que moi, j'aurais pu demander un changement de binôme...

Clarissa pose une main sur mon bras et me fait signe, m'invitant à me retourner et à la suivre. Nous avançons vers un couloir plutôt long qui mène je ne sais où. Je photographie visuellement tout ce qui m'entoure, les couloirs adjacents, la position de chaque porte. Je n'ai aucune idée d'où ils mènent, ni ce qu'elles renferment, mais ce n'est pas grave, je sais qu'à un moment ou un autre cela me servira.

— Je vais te montrer les lieux et tout t'expliquer... Enfin le maximum en moins de dix minutes.

— D'accord, allons-y.

Je la suis et l'écoute attentivement, prenant note de tout ce qu'elle me dit. Les horaires et le planning « type » d'une journée de travail, la salle de pause des employés, les toilettes que nous pouvons utiliser... Le tout avec une douceur qui a l'air de la caractériser.

— Pour le moment, les patients sont dans leur chambre et on ne va pas tarder à les faire venir dans la salle commune. Mais avant, on doit préparer les traitements pour chacun d'entre eux.

Elle avance un peu et se tourne vers une salle située sur notre gauche où des voix me parviennent avant même que je n'arrive à l'entrée. Je la suis et fais comme elle. Je reste en retrait pour observer tout ce qui se passe dans cette petite pièce qui semble en ébullition et complètement désordonnée. 

Sur le pas de la porte, je détaille chaque recoin et m'imprègne de l'ambiance que je vais côtoyer chaque jour désormais. Des plans de travail, posés sur des meubles bas blancs, longent chacune des cloisons. En hauteur, des rangements sont fixés sur un seul pan de mur, dans le même ton que ceux du bas. Sur ma gauche, à l'entrée, un ordinateur en veille et une chaise de bureau vide attendent gentiment que l'on vienne les ranimer. 

Je balaye la pièce des yeux où mes trois autres collègues s'attellent déjà à la tâche. Je les regarde un à un, le visage plongé soit dans des paperasses, soit dans des boîtes de médicaments, et mon regard s'arrête à l'extrémité de ce petit espace tout en longueur.

Plongé dans une fiche, une boîte d'antipsychotiques à la main, Joshua semble bien plus détendu qu'il y a quelques minutes. Il paraît avenant, un demi-sourire au coin des lèvres en réponse à l'une des blagues de Sébastian, situé à côté lui. Son teint halé fait ressortir un sourire éclatant et ses yeux noirs sont devenus noisette.

Sentant le poids de mon regard, il relève immédiatement la tête, presque dans un sursaut, et se raidit en me voyant. Ni une ni deux, le masque qu'il portait lors de notre première rencontre, ou plutôt lors de notre collision, refait surface et se colle à son visage, ne laissant place qu'à du mépris.

Il soupire et détourne les yeux pour reprendre son activité. Que m'a dit Monsieur Jacobson déjà, quand il m'a recrutée ? 

Ah oui ! « Vous allez voir, le travail ici est assez difficile nerveusement, mais entre collègues, c'est une franche camaraderie. » 

Pas sûre qu'on ait la même définition !

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