𝐌𝐎𝐍𝐃𝐀𝐘

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CE film est vraiment ennuyant. Il ne faut pas avoir d'attentes avec les téléfilms du lundi après-midi. Mollement étendu sur le canapé, mes yeux se perdent sur le visage de ma mère, attelée à la confection d'un porte-monnaie en crochet. Maman ne rajeunit pas. Ses cheveux sont maintenus sur sa tête grâce à une pince datant de mathusalem, me permettant de la détailler. Quand bien même ils témoignent de sa jeunesse fanée, j'aime les plis qui s'additionnent au coin de ses yeux et dans les marques de ses sourires. Ces fentes rieuses prouvent qu'elle a ressenti tout au long de sa vie. J'ai l'impression que c'était hier qu'elle venait me récupérer de l'école dans sa Mercedes 280 noir, encore habillée de son tailleur de bureau. L'odeur du cuir emplit toujours mes narines.

Aujourd'hui, tout est plus compliqué. On ne vit plus comme à son époque. Parfois, je me surprends à envier les années soixante-dix. J'aurais facilement pu avoir un semblant de stabilité. Vu mon âge, je me serais déjà marié et père, sûrement en attente de son second enfant. Je vivrais dans une maison étrange décorée d'orange et de marron. Au lieu de ça, je passe mes journées sur des réseaux sociaux chronophages, perdant mon temps à assister à des cours théoriques d'université, prisonnier d'une angoisse commune à ma génération.

J'entends ceux d'âge avancé me dire que ce sont les meilleures années de ma vie, mais j'ai l'horrible impression de gaspiller ma vingtaine. Maman était déjà enceinte de mon grand-frère quand moi je suis assis là, à rêvasser.
– « Tu réfléchis Jimin, je t'entends. » dit ma mère dans quitter sa maille des yeux. « Qu'est-ce qu'il ne va pas, mon grand ? »
J'observe ses mains aux ongles vernis d'une couleur taupe bouger le crochet d'avant en arrière, ses articulations légèrement gonflées par un début d'arthrose.
– « J'ai l'impression de... enfin j'ai l'impression de ne pas vivre. »

Abaissant ses lunettes sur son nez, elle me contemple un instant. Je ne saurais lire les pensées dissimulées dans ses orbes châtaignes.
– « J'ai toujours été convaincu que nous arpentions les sentiers de ce monde pour une raison, qu'une destinée se révélait à nous un beau jour pour nous guider vers de meilleurs horizons. J'attends toujours cet éveil. Le temps passe... »
Elle esquisse un sourire malicieux après ma tirade.
– « Mon fils est un grand romantique. » chuchota-t-elle simplement.
Elle pose son ouvrage sur la table. Ramenant ses jambes contre son torse, elle me donne toute son attention. C'est une sensation des plus agréable, celle de se sentir important et aimé.

– « Ferme les yeux un instant. » Je m'exécute. « Quelques années passent. Tu es heureux de ta vie. Tu te réveilles le matin, et tu te redresses. Qu'est-ce que tu vois dans la pièce ? »
Je me plonge aisément dans son scénario.
– « Eh bien, je vois- »
Mais elle m'interrompt.
– « Non, ne me dit rien. Cela ne regarde que toi. »
Je hoche la tête et laisse mon esprit vagabonder. Je sens mon diaphragme s'étendre et prendre plus de place à chaque nouvelle inspiration. Mes poumons se gonflent d'oxygène, la douce senteur des meubles de bois ajoutée à celle de la bougie iodée m'aident à faire le vide.

Je vois une petite chambre, un cocon réconfortant au murs crèmes et verts sauge. La lumière dorée du soleil se faufile entre les stores de ma fenêtre. Mon cœur est serein. Un corps est étendu à ma gauche, une personne que j'aime tendrement. Ma vie est simple, et paisible. Je pourrais m'enterrer de nouveau sous la couette mais je sais que j'ai eu mon compte de sommeil. Malgré moi, un sourire prend place sur mon visage.
– « C'est bien. Maintenant tu dois te lever. Qu'as-tu à faire ? Et pourquoi ? »

J'abandonne à regret l'ange à mes côtés après avoir laissé un petit baisé sur son épaule. Elle est la femme de ma vie. J'arpente les couloirs de ma maison pour entrer dans une autre chambre, une chambre où les meubles ne sont pas à ma taille, et où un enfant me tend les bras en s'exclamant « Papa ! ». Ses yeux pétillent de joie, et une douce chaleur prend place en moi car je sais que je suis celui qui fait briller les étoiles de ce regard. Je le porte d'un bras, calé sur ma hanche. Nous allons déjeuner alors que je prête une grande attention aux aventures nocturnes rêvées par mon petit bout. Je me rends compte qu'il est tôt, et que ce sont les derniers jours de classe avant l'été. Je ne veux pas qu'il grandisse, pourquoi doit-il entrer en cours préparatoire ?

𝐌𝐎𝐍𝐃𝐀𝐘  ʲᵐ ᵒⁿᵉˢʰᵒᵗOù les histoires vivent. Découvrez maintenant