Prélude | vingt ans

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Milo, janvier

Tout a fini comme ça avait commencé, il y a de ça des années : par hasard, au détour d'une conversation de trottoir, sans trop savoir pourquoi ni comment. Peut-être que c'était destiné à se finir comme ça, que tout sonnait faux depuis des mois déjà - mes traits d'humour, les sourires de Cara, les monologues de Léandre, les attentions d'Ophélie, tout, des mots aux gestes. Depuis qu'on a vu le regard vide d'Ève au bord de la plage, ce soir-là, on n'a plus su comment respirer. On a tous très bien compris - grâce à elle, grâce à elle - qu'il est des choses qu'on ne peut pas réparer. Que c'était notre faute, à tous, parce que depuis des années déjà, on ne se parlait plus vraiment. Tout sonnait faux.

Certains vous diront qu'on avait vingt ans, qu'on tâtonne tous à cet âge-là, qu'on ne pouvait pas savoir. On n'avait que vingt ans. Elle aussi. Personne ne nous a tenu la main. Personne ne nous a dit que tout irait bien. Alors on ne l'a pas fait pour Ève, parce qu'on ne savait pas comment prononcer les mots. Elle dit qu'elle ne nous en a jamais voulu, mais, dieux, elle avait vingt ans.

Je crois, oui, que c'est comme ça que tout s'est terminé : on n'a plus eu le courage de continuer à se regarder droit dans les yeux, les uns les autres, et de se dire je suis là. On a tous cru, chacun de notre côté, que le reflet dans le miroir ne semblerait pas si coupable. On s'est tous un peu abandonnés.

Cela fait cinq ans, et les discussions, les spectacles où l'on s'est retrouvés, les pique-niques et les visites de musée ne font plus sens. Plus de beauté là-dedans, plus d'intimité entre nous, plus une once de cette liberté qu'on chérissait tant quand on la trouvait - quand on était ensemble, toujours, toujours, on respirait mieux. On a tout oublié. Tout repoussé. Tout ignoré.

On a vingt-cinq ans - un quart de siècle et le cœur terrifié. On ne sait plus trop comment faire, comment s'aimer, mais j'ai décidé d'essayer, pour la dernière fois, de rassembler le groupe, la vieille troupe de nos années lycée. Parce qu'on a besoin les uns des autres. Parce que ce qu'on avait autrefois - cette liberté, cette liberté - vaut la peine qu'on se batte pour la retrouver.

Une dernière fois. Ensuite, je saurai me résigner.

Ensuite, ce sera fini.

C'est avec Ève que tout a commencéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant