Chapitre 14

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« Si tu veux connaitre quelqu'un, n'écoute pas ce qu'il dit. Regarde ce qu'il fait. »

- Dalaï LAMA

Les points de suture sous la plante de mon pied droit accomplissaient correctement leur travail, bien que ce fut terriblement lent. Je n'y réfléchis pas à deux fois en enfilant mes pointes ce jour ci, je ne pouvais pas me permettre d'avoir peur de me blesser puisque je jouais mon rôle. Si Arsène et moi ne convainquions pas Ivanovich avec les portées, je serais remplacée par Juliette. Et ce scénario ne se produirait pas dans cette réalité. Elle m'avait suffisamment pris pour que je lui cède le rôle d'Odette à cause d'une stupide peur.

J'allais m'échauffer dans le studio, avec tous les autres, et sans grande surprise, tous les visages se tournèrent vers moi. J'avais eu vent de la splendide vidéo qu'avait publié Juliette sur son compte Instagram privé, en m'affublant d'un petit surnom bien sympathique : cochonne.

- Tu n'as pas honte de revenir ici après le scandale que tu as causé à l'anniversaire d'Opaline, me lança Juliette pleine de dédain et de satisfaction.

J'épluchai son visage, parfaitement stoïque à ses attaques. Derrière tout cet acharnement se cachait l'angoisse grandissante de ne jamais récupérer ce premier rôle, je voyais très clair dans ce jeu.

- À ta place, je ferai surtout attention à ce que mes actes ne me retombent pas dessus.

- C'est une menace ?

- C'est une menace, confirmai-je en l'ignorant pour m'atteler à l'échauffement de mes mollets.

- Laisse-la tranquille, s'interposa Noah d'un ton froid. Tu ne devrais même pas être là. Ivanovich a demandé à ce que les danseurs ne soient pas dérangés pendant leur échauffement, et à ce que je sache tu n'as aucune partie dans l'acte II.

Cette remarque la prit au dépourvu, les lèvres roses de Juliette se retroussèrent d'irritation et ses pommettes se teintèrent d'un rose prononcée.

- De quoi tu te mêles au juste ? L'attaqua-t-elle en haussant un sourcil roux. C'est une conversation privée, et je ne crois pas t'avoir invité à m'adresser la parole.

- Arrête tes simagrées, lui lançai-je sèchement. Et disparais de mon champ de vision.

Le nombre sonna sa capitulation, pas l'argument en lui-même. Elle ne se donnait pas en spectacle auprès des autres. Si Juliette, comme Noah d'ailleurs, n'avait aucun rôle à jouer dans les répétitions d'aujourd'hui, nos enseignants tenaient quand même à ce qu'ils y assistent. Ivanovich partait du principe qu'on apprenait autant en dansant qu'en observant.

- As-tu réfléchi à la faveur que je te dois, jolie Rubis ? Demanda Noah.

J'étirai mes jambes sur la barre, à moitié allongée dessus pour pousser au maximum. Noah m'observait tranquillement, le dos contre le mur, bras croisés sur son t-shirt blanc. Ses cheveux formaient un halo d'une blondeur délicieuse autour de son visage.

- Oui, admis-je lentement. Je veux que tu infestes de puces de lit la chambre de Juliette.

Un ange passa. Ses sourcils clairs formèrent une barre sur son front.

- Tu n'es pas sérieuse ?

J'étais mortellement sérieuse. Le ton de sa voix suggérait qu'il oscillait entre deux parties, qu'il tentait de savoir si je plaisantais ou si j'étais on ne peut plus sérieuse. Il ne me connaissait pas, et sa réaction le prouvait amplement.

- J'ai l'air de plaisanter, d'après toi ?

- Rubis, je ne peux pas faire ça. Et je ne tiens pas à prendre part à la guérilla dans laquelle vous vous êtes lancées.

l'Opéra : le lac des cygnes (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant