Le vent glacial de novembre se promenait dans les rues de Cambridge, s'amusant avec les feuilles mortes qui reposaient sur le sol, les faisant voler, tourner dans les airs et en leur faisant danser une valse avec la poussière. Le vent poussait les nuages aussi grands que menaçants. Emma Baker regardait ce spectacle avec une tasse de café brûlant entre ses mains, en sécurité derrière les vitres du salon de thé, bien au chaud, enveloppée des parfums des liquides chauds et des gâteaux pleins de gourmandises qui plaisaient tant aux clients du quartier. Elle voulait rester là pour toujours. Ce charmant salon était le seul endroit où elle se sentait bien en dehors de chez elle, c'était le seul endroit où, actuellement, elle pouvait venir sans avoir de sueurs froides, sans faire une crise de panique, ni un malaise.
Elle posa sa tasse à moitié vide et prit un scone qu'elle porta à sa bouche et le croqua. C'était son péché mignon, elle ne pouvait s'empêcher d'en manger, surtout quand elle ne se sentait pas bien, comme aujourd'hui. En fait, cela faisait des semaines qu'elle n'était pas au meilleur de sa forme, peut-être même plus, mais elle ne s'était rendu compte de son état mental que très récemment. Emma n'avait pas eu une très bonne santé mentale depuis son adolescence, elle le savait, elle était suivie une professionnelle de santé, mais il y avait des moments où son mental chutait encore plus. Sa vie était telle une courbe qui essayait de dépasser une ligne imaginaire représentant la normalité, l'état du « je vais bien », elle avait cru durant ces dernières années, que tout allait bien, mais elle menait une guerre contre elle-même, et pour la gagner, elle s'était rendu aveugle. Elle n'avait pas voulu regarder l'état de son coeur déjà bien endommagé, mais la réalité l'avait frappé il y a peu, l'obligeant à enlever le voile qu'elle avait mis sur ses yeux, afin de lui dire que non, elle n'était pas heureuse, mais elle se sera très bientôt, si seulement elle acceptait ses sentiments.
Elle essuya quelques miettes restées sur le coin de ses lèvres tout en regardant la mousse laiteuse de son café. Elle fixa ce petit nuage qui disparaissait à chaque gorgée.
Ce combat, elle ne savait pas depuis quand elle l'avait commencé, mais elle était consciente qu'elle le menait depuis très longtemps. Depuis son enfance.
Emma Baker était née un jour d'hiver, en mille-neuf-cent-quatre-vingt-seize, durant la fin du mois de février, où la neige recouvrait les rues d'une grande partie de l'Angleterre. Le froid, la neige et le vent avaient accompagnés les cris de souffrances de sa mère ainsi que ses cris de délivrance et douleur quand la première bouffée d'oxygène remplie pour la première fois ses poumons. Cette salle d'hôpital contrastait avec l'atmosphère glaciale et rude de l'extérieur, elle était chaude, remplie de joie et de bonheur parce qu'elle venait d'accueillir une nouvelle âme. Sa mère l'avait prise dans ses bras, transpirante, épuisée, essoufflée mais heureuse. Elle caressait ce corps si petit, si fragile.
– Bonjour ma chérie, bienvenue.
C'était les premiers mots que lui avait adressé sa mère, mais ça, elle l'avait bien sûr oubliée. Son père avait embrassé le front de sa femme et lui avait aussi souhaité la bienvenue. Quelle joie cela était pour eux d'avoir enfin une fille, une petite fille après avoir un petit garçon de quatre ans maintenant. Ce dernier, d'ailleurs, attendait la venue de sa petite sœur bien au chaud chez ses grands-parents à l'extérieur. Et le lendemain, dans les couloirs de l'hôpital, jouant avec ses petites voitures qu'il avait pris avec lui en secret quand sa mère avait commencé à avoir des contractions chez eux, il avait attendu avec eux. Ces derniers, impatients, furent ravit de voir leurs gendre sortir d'une salle. Ce dernier invita son fils et ses beaux-parents à le suivre dans la chambre d'hôpital où sa femme avait été installée. L'enfant couru jusqu'à lui et regarda ce nouveau lieu sur le pas de la porte.
– Liam, rentre mon chéri. Viens voir ta petite sœur.
Le petit Liam marcha rapidement du haut de ses petites jambes et monta sur le siège à côté du lit de sa mère afin de voir sa sœur qu'elle portait dans ses bras.
– Liam, voici Emma. C'est ta petite sœur. C'est elle que tu protégeras quand tu seras plus grand.
Liam la fixa de ses grands yeux marron. Son père qui se plaça à côté de lui, caressa ses cheveux châtains.
– Tu ne lui dis pas bonjour ?
– Bonjour Emma, moi c'est Liam. Dit-il d'une petite voix, de peur de la réveiller.
Sa vie avait commencé ainsi.
Son enfance fut aussi normale. Elle était aimée de ses parents, elle était la petite princesse gâtée de ses grands-parents, et elle avait, bien sûr, cet amour si spécial qui liait des frères et des soeurs. Elle se battait souvent avec son lui d'ailleurs, ils se chamaillaient régulièrement pour un rien, des disputes d'enfants, mais il y avait aussi des moments de joies comme des anniversaires ou des noëls joyeux, ou encore de tendres souvenirs comme lorsqu'ils s'endormaient dans les bras l'un de l'autre dans leur cabane de fortune faite de draps et de chaises dans le salon.
Et puis, un jour, au cours de sa sixième année d'existence, un évènement changea sa paisible vie à tout jamais : le jour de son apparition. Elle commença à voir à ce que personne d'autre ne pouvait voir dans ce grand miroir qui était installée dans sa chambre, en face de son lit.
Elle y vit pour la première fois l'amour de sa vie.
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À Travers les Miroirs
RomanceL'amour. Cette chose qui fait tourner le monde depuis la nuit des temps. Cette chose qui fait emballer les cœurs, qui les adoucit ou qui les tortures. Des amours passionnés, des amours perdus, des amours impossibles et des amours éternels. Mais est...