Chapitre 4

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La première fois qu'elle s'était posé des questions sur leur situation, elle devait avoir onze ans. Durant un week-end pluvieux, un samedi, en fin d'après-midi, Emma était assise en tailleur devant son miroir depuis de longues minutes déjà. Elle rigolait énormément, frôlant le fou-rire face aux pitreries de Kyle. Ses parents, qui se trouvaient dans le salon, entendaient ses rires.

– Elle est au téléphone ? Demanda sa mère.

– Non, elle s'amuse avec Kyle. Répondit son fils Liam qui avait les yeux rivés sur sa console.

– Ce n'est plus possible ! William !

Son mari, assit sur le canapé, arrêta de lire le journal pour la regarder.

– Elle a onze ans ! Les amis imaginaires ce n'est plus de son âge ! Quelque chose ne va pas...

– Oui je suis d'accord. Il ferma le journal et se leva, le posant sur la table à manger. Mais ne me parle pas de fantôme, on doit l'emmener voir un médecin.

– Mon bébé...

Sa mère était ce qu'on pouvait « une maman poule », elle s'inquiétait énormément pour ses enfants, alors quand son mari prononça cette phrase, elle s'imagina tout un tas de scénarios qui accentuèrent son anxiété.

– Et si on avait fait du mal à mon bébé et qu'on avait rien vu depuis tout ce temps... Pourtant à l'école tout ce passe à merveille ! Elle a de bonnes notes, sa maîtresse me dit que c'est un ange.

Elle s'assit sur une chaise tout en continuant de se faire un sang d'encre. Elle frotta son visage, se laissant envahir peu à peu par la panique. Son mari vint s'asseoir à côté d'elle et caressa son dos pour la consoler, il connaissait très bien le caractère anxieux de son épouse et voulait la calmer, sachant qu'elle pouvait s'inquiéter au point de ne pas en dormir la nuit.

– Anna, ce n'est sans doute pas si grave, elle a juste peut-être dû mal à accepter qu'elle grandit. Ce n'est peut-être pas plus mal d'un côté, regarde ton fils, quinze ans et il ne peut pas se séparer de sa console, notre fille a une imagination débordante à côté de ce zombie.

Liam souffla et roula des yeux à l'entente de cette réflexion.

Après cette discussion, la mère d'Emma, Anna, prit un rendez-vous avec leur médecin familial afin de le voir le plus vite possible. Quelques jours s'écoulèrent et Anna accompagna sa fille pour la consultation. Le docteur lui avait posé tout un tas de questions et avait conclu qu'elle ne souffrait de rien, qu'elle était parfaitement normale et en pleine forme. Une consultation qui s'était donc bien passée, mais Emma se souvenait très bien de cette douleur qu'elle avait ressentie à la poitrine quand elle avait su la raison de cette visite. Et cette sensation était restée là, logeait dans sa poitrine pendant des jours.

Le soir même, alors qu'elle s'apprêtait à dormir, Kyle apparu. Tout de suite, à l'instant où il avait posé les yeux sur elle, il avait senti que quelque chose n'allait pas.

– Qu'est-ce qui se passe Emma ?

– Maman pense que je suis folle. La jeune fille rentra dans son lit et serra les draps, les larmes aux yeux. Elle dit que ce n'est pas normal, tout ça. Que tu es juste un ami qui n'existe que dans ma tête mais que tu aurais dû disparaître depuis longtemps.

– Mais je suis vivant. Kyle s'assit sur le sol de sa chambre à lui.

– Je sais ! Mais personne ne me croit ici.

– Mes parents ne m'ont jamais rien dit, je pense qu'ils s'en fichent. Tu sais quoi ? Je vais demander à mes amis. Tu devrais demander aux tiens aussi.

Emma essuya ses larmes avec la manche de son pyjama et renifla. Elle hocha la tête et Kyle sourit.

– Je n'aime pas te voir pleurer. On va arranger ça tu verras. Il se leva. Je vais te laisser te reposer, bonne nuit Emma.

– Bonne nuit Kyle. Et elle ferma les yeux.

La seconde fois, le moment où elle avait ouvert les yeux véritablement sur sa situation, fut tout simplement le lendemain de cette conversation.

Elle s'était levée du bon pied ce jour-là, déterminée à avoir le fin mot de cette histoire. Mais ce qu'elle ne savait pas, c'est qu'elle venait à peine de commencer.

Elle avait attendu l'heure de la récréation pour parler à ses amis, pensant naïvement que tout le monde était comme elle et qu'elle pourrait prouver à ses parents que tout allait bien, qu'elle était normale. Elle avait attendu la récréation pour en parler à ses amis.

– Dîtes. Elle attendait son tour pour faire de la corde à sauter. Vous avez des amis chez vous ?

– Chez nous ? Demanda une petite fille aux cheveux blonds.

– Oui, dans ton miroir.

Tous ses amis se retournèrent vers elle avec un air surpris sur leurs visages.

– Non pas du tout, pourquoi tu vois quelque chose chez toi ?

– Emma parle aux fantômes ! Elle voit Bloody Mary ! Cria un garçon.

– Non ! Cria-t-elle en retour. C'est... C'est juste une histoire qu'un ami à mon frère nous a raconté.

Elle devait mentir. Voir tous ces yeux horrifiés qui la dévisageaient, ses joues en devenaient rouges de gêne et ses mains en devenaient moites.

– C'est des histoires de fantômes, mon grand-frère m'en raconte tout le temps ! Dit un autre garçon.

– Vos grand-frères sont vraiment méchants, ça ne se fait pas de faire peur comme ça, rétorqua la petite fille aux cheveux blonds.

Emma n'avait plus osé parler de la journée. Elle se sentait atrocement mal, d'ailleurs son ventre jouait à se tordre dans tous les sens, ce qui l'a faisait atrocement souffrir. Elle avait tellement mal qu'elle se retenait de pleurer en plein cours et cela n'échappa pas à sa professeur qui demanda à une de ses camarades de classe de l'emmener à l'infirmerie. L'infirmière de l'école appela ses parents et Emma s'était reposée à ses côtés jusqu'à l'arrivée de sa mère. Pendant ce temps-là, les enfants parlèrent entre eux, inventaient même des histoires sur elle, et sans qu'elle ne le sache, avant même que les cours se terminent, une rumeur se propagea : Emma était une sorcière qui parlait aux fantômes.

Une fois à la maison, elle avait passé le reste de sa journée allongée sur son lit. Ce fut la première fois qu'elle ne vit pas Kyle dans le miroir, eux qui se voyaient tous les jours, et elle ne s'en était même pas rendu compte. Sa mère avait raison : rien de tout cela n'était normal.


À Travers les MiroirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant