À Travers les Miroirs

Chapitre 6

C'était au collège que cette histoire commença à torturer l'esprit d'Emma Baker.

Son enfance qu'elle pensait tout à fait anodine et heureuse venait de prendre fin. Elle grandissait, son corps changeait, son esprit aussi, ses yeux s'ouvraient vraiment et découvraient le véritable monde, son innocence s'envolait. Un monde qu'elle trouvait de plus en plus horrible au fur et à mesure qu'elle prenait de l'âge. Elle était une personne sensible de nature, plutôt timide, qui avait toujours été protégée par sa mère et son frère. Rentrer au collège ne fut pas une mince affaire pour elle. Elle ne se sentait pas vraiment bien dans cette classe où elle n'arrivait pas à s'intégrer. Beaucoup de ses anciens camarades l'entouraient, elle n'était, heureusement, pas victime d'harcèlement, mais les élèves n'allaient pas vers elle, n'ayant pas oublié la rumeur qui circulait à son sujet quelques temps auparavant. Ils ne lui disaient jamais de venir avec eux au parc après les cours, elle faisait partit des dernières choisit quand ils devaient faire des groupes pour des projets, on lui adressait la parole ans de très rare cas, mais ça s'arrêtait là, elle n'était qu'une élève de leur classe, rien de plus pour eux. Elle était juste... seule. Elle se sentait terriblement seule. Souvent, elle serrait la jupe de son uniforme entre ses mains en plein cours et demandait à sortir de la classe prétextant une envie pressante, elle courait jusqu'aux toilettes et se tenait au lavabo comme pour s'y maintenir, elle manquait d'air. Elle n'arrivait pas à respirer et elle restait là, jusqu'à ce que cette horrible sensation d'étouffement passe. Elle ne comprenait pas ce qui lui donnait cela, elle n'était pas asthmatique alors elle s'imaginait avoir une maladie inconnue, mais ne voulant pas inquiéter sa mère, elle ne lui disait rien. D'ailleurs elle ne racontait pas ses crises-là à son frère non plus. Elle commença même à lui mentir, lui qui avait toujours eu des amis, des bonnes notes, qui était toujours bien entouré, elle ne voulait pas lui montrer qu'elle avait échoué sur ce plan-là. Et puis, il grandissait de son côté, il était maintenant dans ses dernières années de lycée, il était rarement à la maison, souvent en soirée, avec ses amis et sa petite-amie, il travaillait beaucoup aussi. Ils habitaient à Cambridge et il voulait intégrer une université très réputé. Ils ne passaient plus autant de temps ensemble. Elle avait le cœur serré car, pour elle, son frère l'avait aussi abandonné.

En fait, il ne restait que Kyle, mais lui aussi était de plus en plus occupé. Il était quelqu'un de très sociable et enjoué, toujours entouré de gens. D'ailleurs ils se voyaient de moins en moins, parfois, une semaine s'écoulait sans qu'il n'apparaisse. Elle l'attendait impatiemment, restant assise devant son miroir pendant de très longues minutes, puis elle se résignait et allait se poser sur son bureau pour réviser les cours de la journée. C'était la seule chose qu'elle attendait impatiemment, la seule chose qu'elle voulait dans sa journée, le voir, lui parler, plonger dans ses yeux et entendre son rire se diffuser dans la pièce. Alors quand elle le revoyait après une longue semaine, elle avait le sourire jusqu'aux oreilles. Il lui racontait sa journée, ses sorties avec ses nouveaux amis, ses nouvelles activités, son train de vie riche et palpitant, qui était tout le contraire de celui d'Emma. Quand venait son tour, quand elle devait raconter ses journées, elle sentait une boule se former au niveau de son estomac et elle sentait une horrible vague de chaleur se déferler dans tout son corps, et sa gorge se nouer. Ses pensées allaient tellement vite qu'elle s'étonnait elle-même de les comprendre. Elle se sentait si peu intéressante comparée à lui, et pour ne pas passer pour une minable à ses yeux, elle commença à lui mentir. Elle lui disait que tout allait bien, elle inventait des sorties et un groupe d'amies qu'elle n'avait pas. Mais Kyle n'était pas dupe. Malgré son jeune âge, il voyait que son sourire n'était plus aussi lumineux qu'avant, il voyait son visage un peu crispé, ses yeux se ternir et parfois s'embuer légèrement de larmes. Il lui répétait sans cesse si ça allait, et elle lui répondait toujours que oui, ça allait. Il ne croyait absolument pas à ses mensonges. Il avait peur pour elle, il s'imaginait le pire, qu'elle se fasse harceler. Dans son collège, aux États-Unis, il voyait ce que les bourreaux faisaient subir à leurs victimes : lynchage publique, humiliation, vol, violence, il était déjà à sa troisième et dernière année de collège et avait malheureusement entendu beaucoup d'histoires et vu pas mal de choses, alors s'imaginer qu'Emma pouvait subir toute cette violence... Il le pensait parfois, seul chez lui quand elle n'était pas là et il avait les poings et le cœur serrés. Personne ne devait la toucher. Et, comme pour le rassurer, son miroir ne montrait plus sa chambre mais celle d'Emma, il la voyait parfois dormir paisiblement. Le décalage horaire entre leurs deux pays était grand, mais peu importe l'heure, voir sa meilleure amie était ce qui était le plus important en ce moment, lui montrer que même quand elle n'y pensait pas, il était là, à ses côtés. Il la regardait pendant de longs moments, semblant être bercée par sa paisible respiration. Il détaillait son visage, s'attardant sur ses cheveux châtains lisse qui semblaient être si doux, ou alors le grain de beauté qui se trouvait en dessous de œil droit, comme le celui qu'il avait à son œil gauche, se disant que le hasard faisait bien les choses et, une fois, il essaya même de compter tous ses grains de beautés qu'elle avait sur son visage avant de se rendre compte que c'étaient, en réalité, des tâches de rousseurs qui ornaient ses joues et il se sentait si bête, mais il allait s'endormir le sourire aux lèvres.

Ses doutes se sont confirmés quand, un jour, il se réveilla plus tôt que d'habitude. Après avoir passé sa soirée à jouer avec ses amis sur son ordinateur, à des jeux en ligne, il avait eu du mal à s'endormir, il avait réussi à fermer les yeux vers trois heures du matin mais il s'était réveillé seulement deux heures plus tard. Malgré cela, il ne se sentait pas fatigué et il décida donc de se lever. Il se dirigea vers la salle de bain, doucement, en essayant de ne pas réveiller ses parents qui dormaient quelques mètres plus loin. Il entra sur la pointe des pieds et referma la porte derrière lui après avoir allumé la lumière. Il se regarda dans le miroir et remarqua que ses cernes s'étaient assombris, il n'avait pas vraiment une très bonne mine, lui qui était déjà presque pâle, il avait l'impression de ressembler à un vampire. Il décida de se passer de l'eau sur le visage, il se baissa et se rincer le visage à l'eau froide. Quand il se releva, il sursauta. Ce n'était plus lui dans le miroir, mais Emma. Il la voyait dans ce qui semblait être des toilettes, elle était vêtue de son uniforme scolaire, mais surtout, elle pleurait, se tenant au lavabo.

– Emma ?

La jeune fille releva la tête, elle aussi en sursautant, surprise d'entendre la voix de Kyle ici, dans son collège, à cette heure-ci.

– Kyle ? Mais qu'est-ce que tu fais là ? Qu'est-ce qui se passe ? Ne me regarde pas !

Emma se retourna en essuyant rapidement ses larmes, elle ne voulait pas qu'il la voit dans un tel état, les yeux gonflés et rouges, dans un moment de faiblesse. Le cœur de Kyle se serra si fort qu'il en fut à la fois étonné au point où il sembla qu'il lui manquait d'air. La voir dans un tel état confirma ses pensées qui le hantaient depuis quelques temps.

– Emma regarde-moi ! Sa voix tremblante et ses yeux trahissaient son inquiétude. Qu'est-ce qui t'arrive ? Ne me dis pas qu'on te fait du mal ici ?

– Non, tout va bien. Elle renifla mais elle ne se retourna pas.

– Emma, parle-moi ! Dis-moi la vérité !

À cet instant la porte à la droite d'Emma qui menait au couloir s'ouvra, et elle disparue. Kyle resta là, les yeux écarquillés, et quand la surprise s'en alla, la colère et la tristesse prirent le dessus. Ses mains serrèrent le rebord du lavabo au point que ses jointures devinrent blanches.

– Emma...