— Tu ne peux pas l'appeler.
— Mais si, tu peux.
— Non. Elle ne le peut pas, Emmanuelle !
— Et pourquoi donc, Aïko !
Cela faisait bien cinq bonnes minutes que les deux jeunes femmes se chamaillaient pour savoir si Lupita devait ou ne devait pas appeler Park Jung pour lui proposer ses services, afin de jouer sa petite amie. L'intéressée avait réfléchi toute la journée sans arriver à prendre de décision. Elle s'était imaginée qu'en discuter avec ses amies l'aiderait... Illusion ! Illusion !
— Parce qu'elle ne le connaît pas !
— Mais elle a dit qu'il avait l'air gentil. En plus, il est super beau ! Regarde la photo sur le site de sa boite ! C'est un top-modèle, ce type !
— On en a déjà parlé, mais je préfère être claire, tous les psychopathes sont très gentils. Et parfois même, beaux.
— Arrête ! Pourquoi veux-tu absolument en faire un psychopathe ?
— Parce que justement un mec beau et gentil, c'est louche ! Il a forcément un vice caché ! Et puis, on ne demande pas à une inconnue, caissière de surcroît, de faire ce genre de truc ! C'est encore plus louche ! Il a cru que Lupita était une proie facile. Il s'est trompé. Je veille au grain.
— N'importe quoi ! Tu n'es pas sa mère !
— Et toi ! Pourquoi veux-tu absolument la faire accepter ?
— Parce que c'est exactement le genre de situation qui pourrait finir en quelque chose d'intéressant coté cœur ! Voilà pourquoi ! Notre Lupita a, elle aussi, le droit de vivre une grande histoire d'amour !
— Mais t'es barrée, ma parole !
— Stop, les filles ! Fin de game ! De toute façon, il n'a plus besoin de mes services, manifestement.
— Quoi ?! Mais...
— Je lui ai envoyé un message pendant que vous vous hurliez dessus. Il semblerait qu'il n'ait plus besoin de fausse fiancée.
— Il a dû trouver quelqu'un d'autre, dit Emmanuelle avec une moue contrariée.
— Non, il me précise que le rendez-vous problématique a été annulé pour cause de décès dans la famille.
— Ah ! Bon, ben tant pis... de toute façon, il avait sans doute plein de défauts rédhibitoires, dit Emmanuelle, habituée à faire feu de tout bois.
— Il aimait peut-être le beurre d'anchois, commença Aïko.
— Ou le céleri rémoulade, surenchérit Emmanuelle
— Ou la pizza à l'ananas.
— Ou la mayonnaise sur les frites.
— Ou conduire comme Fangio.
— Ou pire, conduire comme une mémé !
— Ou faire pipi sur le bord des routes.
— Il était sans doute affublé de tares toutes moins originales les unes que les autres, genre laisser ses chaussettes traîner partout, et abandonner le tube de dentifrice ouvert sur le lavabo, finit Lupita en souriant.
— En attendant, ça ne règle pas ton problème de fric, ceci dit, lâcha Aïko en se tenant le menton, signe qu'elle réfléchissait.
— Non, en effet. À moins que tous les dieux de l'Olympe ne se coordonnent pour aligner les étoiles et faire fléchir le destin, je suis dans la mouise jusqu'au cou.
— T'as pas un autre ordi de dépannage ?
— Non... enfin si, mais il est chez ma mère.
— Y'a pas de mal à aller le récupérer, non ? C'est pas comme si tu lui demandais de l'aide, puisque de toute façon, il est à toi.
— Pas faux, mais il faudrait que j'y aille...
— As-tu vraiment le choix ?
Lupita soupira en se levant. La nuit était tombée. On était vendredi soir. Normalement, elle aurait dû être en train de jouer ou alors de danser. Elle aurait dû être en train de passer une bonne soirée en s'amusant. Au lieu de ça, elle envisageait d'aller voir sa mère, dans son appart. Jusqu'à présent, elle s'était arrangée pour la voir en terrain neutre : au resto ou à une expo. C'était moins risqué qu'à la maison. Mais comme le disais si bien Aïko, est-ce qu'elle avait le choix ? Il lui fallait un PC de toute urgence, et pas seulement pour jouer. Si jamais un boulot tombait, il fallait qu'elle soit en capacité de l'exécuter.
***
Magnus Ryker avait accueilli la nouvelle avec calme. Pourtant, il était sincèrement bouleversé. Sa femme, Charlotte, dont la grossesse était à peine visible sur sa silhouette parfaitement entretenue, s'était assise près de lui, pour lui prendre la main. Elle connaissait son époux. Il garderait son chagrin pour lui. Pourtant, elle souhaitait alléger son fardeau, lui montrer qu'elle était avec lui, qu'elle le soutiendrait quelles que soient les décisions qu'il aurait à prendre désormais, car il allait devoir en prendre un certain nombre, en tant que fils aîné, et directeur général de la branche française de l'entreprise familiale. Mais pas immédiatement.
Charlotte jeta un bref regard à Jung, le demi-frère de Magnus. Il était arrivé aussitôt après avoir appris la nouvelle et n'avait pas quitté la maison depuis. Il l'avait aidée à préparer l'arrivée du troisième frère et de la petite dernière de la fratrie. L'un revenait en urgence du sud de la France où il stationnait pour une exposition. L'autre revenait de Lille où elle effectuait un stage dans une entreprise d'import-export. Ne manquerait que le second fils. Lui, s'occupait de récupérer l'épave et d'organiser les recherches.
Il n'avait plus aucun espoir de retrouver Alexander Ryker vivant, mais Darius ne s'arrêterait sans doute pas avant d'avoir retrouvé le corps. S'il ne le faisait pas pour lui, il le faisait pour sa mère qui ne pourrait pas pleurer un cercueil vide.
— Est-ce que je dois poursuivre la mission qui m'avait été confiée, ou j'arrête tout momentanément ? demanda alors Jung, dont le pragmatisme reprenait le pas sur l'inquiétude et la tristesse.
— Tu arrêtes pour les jours à venir. Le temps que l'on y voit plus clair. Deimos m'a appelé. Il est sorti de sa retraite et rentre d'Afrique du sud pour nous aider à gérer la succession.
— Vous aider à gérer la succession ? Tu es conscient de ce que cela implique, n'est-ce pas ?
— Oui. Parfaitement. Mais mon... notre père a tout verrouillé. Il se méfiait. À croire qu'il se doutait que quelque chose de ce genre lui arriverait...
— Il a été à bonne école.
— Tu ne seras pas mis sur la touche, Jung.
— Ça n'est pas ça qui m'inquiète, Magnus. Tu le sais.
— Je sais. Mais, je veux aussi que tu saches que je vais avoir besoin de toi. Encore plus qu'hier.
— Je serai toujours là pour toi, mon frère, dit Jung en se retournant pour regarder Magnus.
Charlotte ne comprenait pas bien les inquiétudes des deux hommes. Elle n'était pas au fait des conflits et enjeux que cette mort allait imposer à toute la famille. Elle savait juste que Magnus allait devoir endosser encore plus de responsabilités, et qu'ils devraient sans doute, tous les deux, déménager à New-York, du siège principal de la société, pour y faire leur vie. Elle n'avait pas peur. Elle était prête.
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Tout sur Lupita
ChickLitLupita Jones rêve d'une vie normale avec un job d'informaticienne qui lui permettrait de payer les factures et de s'adonner à son loisir de prédilection : le jeu vidéo. Mais Lupita n'a pas forcément choisi la voie la plus simple et a des soucis d'ar...