À 75 ans, on pouvait considérer avoir acquis assez de sagesse pour diriger sa vie dans le bon sens. À moins d'avoir le cerveau atteint. Ce qui n'était pas son cas ! Iseul Kang venait de dépasser cet âge canonique où il n'était plus question de se laisser enquiquiner par qui que ce soit. Et certainement pas par un petit-fils. Quand bien même, celui-ci était un jeune homme charmant et plein de bonnes intentions.
Elle raccrocha son antique téléphone avec suffisamment de vigueur pour s'inquiéter ensuite de sa survie, et jura comme un charretier dès que ce fut fait. Inutile de dire qu'elle était énervée. Elle alla jusque dans la cuisine pour se verser un grand verre d'eau fraîche qu'elle but, adossée au comptoir de sa cuisine ultra-moderne.
Postée ainsi, elle avait une vision assez globale de son nouvel appartement, et elle sourit de satisfaction. L'entrepreneur avait bien travaillé, et les déménageurs avaient obéi au moindre de ses ordres, transformant un espace, somme toute assez commun, en quelque chose de plus personnel. Le nouveau plancher était sublime. Un chêne miel huilé à la perfection qui lui rappelait la maison familiale qu'elle avait dû quitter il y a bien longtemps, pour rejoindre son futur mari aux U.S.A..
Les murs d'un blanc cassé s'ornaient, de manière irrégulière, de fins liserets d'or, comme une pluie discrète et bienfaitrice. Cette immense pièce aurait pu paraître vide, si Iseul n'y avait pas disposé quelques meubles aux lignes épurées, et beaucoup de plantes, invitant l'extérieur à l'intérieur, créant une atmosphère chaleureuse avec une décoration minimaliste.
Au fond deux portes coulissantes faites d'ossature en bois et de papier Hanji donnaient respectivement sur la chambre et le bureau. La salle de bain et les toilettes n'étaient accessibles qu'en passant par le dressing de la chambre.
Un petit autel était disposé entre les deux cloisons. Une simple photo en noir et blanc d'un homme au regard direct, mais souriant, le surplombait. Min-Ho, l'époux d'Iseul, était mort bien trop tôt selon la famille. Elle, elle ne s'en était pas plaint. Elle avait donné naissance à un fils parfait en tous points. Comme elle avait joué son rôle d'épouse, elle avait joué son rôle de veuve à la perfection, avec dignité et ferveur, et n'avait jamais accepté aucune proposition pour se remarier. Elle estimait avoir mérité sa liberté, même si elle ne l'aurait affirmé à personne.
Depuis cette disparition, et contrairement à ce qu'avait craint son fils, elle ne s'était jamais sentie seule, et avait même décidé de s'expatrier une nouvelle fois, 12 ans plus tôt, quand son petit-fils, Jung, était venu s'installer à Paris.
Ce même petit-fils qui l'enquiquinait parce qu'elle avait préféré cet appartement à celui qu'il lui avait trouvé ! Parce que le quartier était moins chic que le précédent, qu'elle serait tributaire d'un ascenseur, et gnagnagna et gnagnagna...
À ça ! Pour être chic, il l'était, son ancien quartier ! Mais ça n'avait pas empêché son immeuble d'être déclaré inhabitable après que de larges fissures soient apparues sur la façade ! Et puis, tous ces vieux méprisants, avec leurs sourires factices, qui la regardaient par en dessous ! Elle ne les regretterait pas !
Elle aussi était vieille, cela, elle ne le niait pas, mais elle ne faisait pas semblant du contraire, et surtout ne disait aucune amabilité de façade aux personnes qu'elle n'appréciait pas, par ailleurs.L'hypocrisie lui était étrangère. Le silence était son arme préférée.
Le téléphone sonna de nouveau. Elle posa son verre sur le comptoir et s'approcha de l'appareil. Ses yeux rencontrèrent son reflet dans l'ovale parfait du miroir accroché près de la porte d'entrée. Elle était vieille sans aucun doute, mais elle était encore en forme. Elle se tenait bien droite, et malgré sa petite taille, elle parvenait encore à toiser les impudents.
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Tout sur Lupita
Literatura FemininaLupita Jones rêve d'une vie normale avec un job d'informaticienne qui lui permettrait de payer les factures et de s'adonner à son loisir de prédilection : le jeu vidéo. Mais Lupita n'a pas forcément choisi la voie la plus simple et a des soucis d'ar...