L'Ombre de la Condamnation

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Les chuchotements, les applaudissements et la surprise de la foule étouffaient les pas des gardes dans les couloirs. Depuis plusieurs mois, ils le traquaient sans relâche. Toute la garde royale remuait ciel et terre pour le retrouver. Sans succès... du moins, jusqu'à cette soirée. Enfin, ils l'avaient attrapé. Enfin, le peuple pourrait sortir sans danger. Enfin, tout le royaume se sentirait à nouveau en sécurité.
Il avait récidivé plus d'une dizaine de fois. Peu importait où on le cherchait, personne ne le trouvait. Jusqu'à cette nuit. Il avait été aperçu par un promeneur. Il était assis au bord d'un lac, en pleine forêt. Par chance, le passant était un ancien militaire et avait réussi à le maîtriser sans effort. D'ailleurs, le criminel, couvert de sang, n'avait opposé aucune résistance. Il était temps qu'on l'attrape, aussi bien pour les autres que pour lui-même
Tout le monde félicitait l'ancien membre de la garde royale pour avoir guidé le criminel jusqu'au roi.
Ce dernier tenait un banquet. Il l'avait organisé pour des affaires officielles concernant son héritier. Celles-ci furent coupées brusquement par l'arrivée de l'escorte. Une fois dans la salle, l'assassin fut projeté aux pieds du gouverneur.
Le roi se leva, remonta son pantalon jusqu'à ses genoux et le regarda. 

— Que m'avez-vous amené ?

— Il s'agit d'Ernest, mon seigneur. Celui qui est recherché pour les treize meurtres de la haute cour.

Le gouverneur se releva et indiqua à son fils d'en faire de même. Jusque-là, le prince avait gardé la tête baissée, relisant plusieurs documents comme s'il ne se sentait pas concerné par la situation.

— Son couronnement approche, dit-il en hochant la tête vers le prince. Pourquoi ne choisirait-il pas la sentence qui revient de droit à ce... dégénéré ? Tu pourras ainsi comprendre de quoi il est question, quand il s'agit de venger ton peuple, fils.

L'héritier acquiesça et regarda enfin l'homme qui était à terre.

— Tu feras l'annonce publiquement demain matin, dit-il à son fils. Amène-le dans les geôles, seul. Montre que tu n'as pas peur de lui, que nous représentons une justice inébranlable et que le peuple peut se confier à nous.

À nouveau, Lucian acquiesça. Il prit le bras d'Ernest avec une violence qui reflétait sa rage. Menotté, l'assassin n'eut d'autre choix que de suivre l'héritier, la tête basse.
Lorsqu'ils passèrent les portes de la grande salle, de nouveaux cris de joie résonnèrent à travers les murs de pierre, dans ces couloirs normalement vides à cette heure de la nuit.
Ils descendirent plusieurs étages, puis arrivèrent au milieu de plusieurs prisonniers qui les observaient avec curiosité.

— Laissez-nous seuls, déclara le prince. Je me charge de lui.

Les gardes, présents dans une salle à une certaine distance des cellules, partirent. Il était alors temps pour l'héritier de faire son devoir. Il devait faire d'Ernest un prisonnier de ce palais. Il allait être nettoyé puis revêtu des mêmes blouses que d'autres comme lui, qui finiraient probablement tous sur l'échafaud.
Lucian déchira la tenue sale d'Ernest. Il prit une éponge, commença à frotter, mais fut incapable de continuer. Il déversa alors des torrents de larmes contre la poitrine de celui qui allait être condamné.

— Pourquoi... Pourquoi n'es-tu pas resté là-bas ?

Il se redressa pour planter son regard dans celui qu'il aimait tant.

— J'y étais. Je n'ai pas bougé, Lucian, je n'aurais jamais bougé de là. Lui aussi commença à verser quelques larmes.

— Ce serait arrivé, tôt ou tard.

— Mais pourquoi aujourd'hui ? Je ne peux plus rien faire pour toi, Ernest ! Tu seras condamné à mort même si je décide de ne rien dire ! Je ne peux plus rien faire, tu seras... tu seras exécuté comme tous ces malpropres !

Il hurla pour extérioriser une douleur qu'il ne pouvait supporter. Une douleur qui le prenait à la gorge, l'empêchant de respirer, l'empêchant de penser à une solution.

— Je vais trouver un moyen... Je te le jure, tu ne poseras pas ta tête sur ce billot !

De ses mains menottées, Ernest sécha les larmes de son amant. Il lui sourit, ce qui suscita une haine encore plus profonde chez l'héritier, une haine envers lui- même, envers son incapacité à protéger la personne la plus importante à ses yeux.

— Je m'étais fait à cette idée depuis bien longtemps. Je ne crains pas la mort. Encore moins si celle-ci vient de toi.

Le linge toujours en main, il tenta d'essuyer les traces de sang séchées qui tâchait le torse d'Ernest. Son bras trop faible ne réussit pas à continuer, et il le laissa tomber.
Les menottes toujours autour du poignet, le prisonnier chercha la main de Lucian, la saisit et la rapprocha de lui. Il le força à s'asseoir avant de le prendre dans ses bras. Il le balança, le réconfortant dans la proche fatalité qui allait s'abattre sur eux. Il le dodelina, l'embrassa sur les cheveux d'une douceur inégalée. Lucian semblait inconsolable, mais profita tout de même des derniers moments dans les bras de son bien-aimé, qu'il ne reverrait jamais.

°

Le matin même, la garde royale vint chercher Ernest. La calèche était accompagnée par une foule enragée qui cherchait la vengeance pour ses proches assassinés. Tous se dirigèrent vers la place d'exécution, où l'héritier prononcerait quelques minutes plus tard le sort qui attendait Ernest.
En arrivant, ce dernier était accompagné du roi, de quatre gardes, et, plus important encore, de Lucian, qui le suivait de près. L'héritier peinait à garder la tête haute. Il ne souhaitait rien d'autre que de rester dans les bras d'Ernest éternellement, comme la nuit dernière où il lui avait fait ses adieux.
On avait positionné le condamné aux côtés de Lucian, laissant ses émotions à fleur de peau pour sa prise de parole.

— Ernest ! hurla-t-il presque afin de faire taire la foule.

Heureusement que les cris du peuple avaient recouvert sa voix, car celle-ci venait de craquer en prononçant le nom de son amant.

— Ernest ici présent paiera. Il paiera pour avoir assassiné nos amis, pour avoir brisé nos familles!

Il ravala un sanglot à nouveau noyé dans les acclamations du public. 

— Il est condamné à mort !

Au milieu des applaudissements, il y avait un cri silencieux que seul Ernest pouvait entendre. Le cri silencieux que Lucian cachait depuis un moment, celui qu'il voulait extérioriser depuis son arrivée sur cette place d'exécution.

—En mémoire et en l'honneur de Vernon, d'Anise, d'Elisabeth...

Le bourreau vint alors chercher Ernest. Sa tête heurta violemment le billot.
Lucian continua de parler en combattant les sanglots.

—De Leigh, de Rosalia, de Katheleen et de Lloyd...

Une fois que les victimes furent commémorées, il se retourna pour se diriger aux côtés de son père. Ils regardèrent le bourreau aiguiser sa lame avant de commencer à viser la nuque.
Lorsque l'arme s'éleva enfin, un cri déchirant fendit l'atmosphère, un cri qui ne pouvait plus être retenu.

— Arrêtez !

La hache s'abattit. 

L'Ombre de la CondamnationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant