WAGERS

07. Ses aises

Isadora.

J'ai douté pendant quelques minutes. J'ai douté du fait qu'il accepte. Et pourtant...

Luke se tient un peu plus loin de moi. Je dévisage la balafre qui orne sa joue et qui s'étend à son arcade sourcilière. Je me demande s'il lui arrive de compter le nombre de bleus qu'il gagne en une soirée. 

Moi je l'aurais fait au début, puis j'aurais arrêté au fur et à mesure que les combats s'accumuleraient.

C'est une question ça aussi : depuis combien de temps traine-t-il dans le club ? Des mois ? Des années peut-être ? Il ne rejette pas vraiment l'impression d'adorer ça, alors pourquoi y est-il entré ?

– Vous n'allez pas répondre ? me relance Luke.

– Pardon, je m'étais égaré dans mes questionnements vous concernant.

Je dis la vérité, ce qui a le mérite de lui faire froncer les sourcils.

– Et on parle de quel genre de questionnement, au juste ?

Je presse mes lèvres entre elles pour m'empêcher de répondre une connerie. Une connerie dans le goût de « mes questionnements portaient sur nous deux, couchant sauvagement ensemble sur ce trottoir humide, parce que je suis une adepte de l'exhibitionnisme ».

Si ça peut plaider ma cause, sa réaction aurait été à tomber de rire.

– Rien. C'étaient des questionnements bêtes.

Son expression devient méfiante. Il s'imagine peut-être que je manigance une manipulation. Ce qui n'est pas vrai. Je lui cache seulement les raisons qui m'ont poussé à lui faire la proposition.

Mais omettre n'est pas mensonge et ça fonctionne dans les deux sens. Luke a précisé de manière très explicite que l'argent ne l'intéressait pas, ça ne l'a pourtant pas empêché d'accepter. La conclusion est facile, il a une autre motivation. Honnêtement ça m'est égal, tout ce qui compte c'est que cette motivation ne vienne pas à me nuire.

– On fait quoi maintenant ?

Je remarque qu'il a les mains dans les poches, comme s'il était gêné. Cette idée contraste avec... lui. Le parfait cliché du boxeur au crâne rasé, baraqué, un peu tatoué, solitaire et grincheux mais qui réussit à esquisser un sourire amusé lorsque ça en vaut la chandelle.

Oui, c'est cette vision que j'ai de lui.

– Je compte rentrer dormir. Vous, faites ce que vous voulez. Je préfère parler plus sérieusement de tout ça encore plus loin du club.

La mention de dormir n'a pas l'air de le repousser.

– On pourrait se retrouver en journée quelque part, un endroit pas trop public.

– Ouais, ça me parait pas mal, il opine.

Je maintiens le reste de la tige de tabac entre mes lèvres et tends la main vers lui. Luke arque un sourcil.

– Votre téléphone, j'éclaire en serrant encore ma clope.

Il ne comprend toujours pas.

– Vous aurez besoin de mon numéro pour me contacter, non ?

Ses yeux s'ouvrent un peu plus, comme si l'évidence le frappait enfin. Il le cueille dans sa poche, l'ouvre puis me le donne. Le téléphone est déjà sur la page d'ajout d'un contact. J'entre mon numéro avant de le lui rendre.

Je me relève du trottoir, jette mon mégot presque fini par terre puis l'écrase.

– Oh, et je suis dispo tous les aprèms mais jamais les nuits. À vous de vous décider maintenant.