Chapitre 5 : Troubles

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Lekha me laisse seule sur le balcon, heureux de la réponse que je lui ai faite.

Pour lui, je vais faire l'effort d'être moins froide envers mon clan mais aussi envers les étrangers. Je n'en ai pas la moindre envie, mais je ne veux plus que ma conduite le fasse souffrir.

La fatigue me saisit soudainement. Après une telle journée, cela ne me surprend pas du tout.

Profitant de la douceur de la nuit, je ferme les yeux un instant et profite du silence reposant qui règne dans la cité.

Ce n'est que lorsque je rouvre les yeux que je m'aperçois que je ne suis plus seule. À un mètre de moi, quelqu'un observe le paysage, les mains posées sur la rambarde du balcon. C'est lui, l'homme aux yeux ambrés.

Est-ce à cause de la fatigue que je ne l'ai pas entendu arriver ou est-il incroyablement silencieux ?

Une fois de plus, son comportement déconcertant me trouble : il est là, à deux pas de moi et il m'ignore complètement !

Cet homme est vraiment très étrange ...

Après avoir placé l'oreillette dans mon conduit auditif, je me tourne vers lui et pose les mains sur mes hanches. Il semble enfin me prêter attention, tournant son visage vers moi et plongeant son regard ambré dans le mien.

- Les humains ignorent-ils qu'il est impoli de surprendre les gens dans leur intimité ? demandé-je en fronçant mes sourcils, lui signifiant ainsi ma désapprobation.

- Ton peuple ignore-t-il qu'il est impoli d'épier quelqu'un ? ~ me lance-t-il, un sourire railleur errant sur ses lèvres.

Face à sa riposte, j'arque un sourcil et l'observe de haut en bas en prenant mon air hautain le plus insupportable possible. Cela semble l'irriter car son sourire disparaît aussitôt et sa mâchoire se crispe légèrement.

Désolé Lekha ! Je ne tiendrai ma promesse qu'à partir de demain !

- Dis-moi humain, la soirée t'ennuie-t-elle pour abandonner de la sorte tes semblables ?

- Hisoka. Je m'appelle Hisoka dit-il en fermant les yeux et s'adossant sur la rambarde, les bras croisés sur sa poitrine.

- Keya lancé-je dans la foulée.

- Quel prénom charmant. Dommage que ce ne soit pas le cas de sa propriétaire ~ souffle-t-il, un sourire taquin accroché à ses lèvres.

Il me cherche. Il s'ennuie et il me cherche. Il s'ennuie, il me cherche et cela l'amuse. Pourquoi ne pas le chercher et m'amuser moi aussi ?

- Je suis aussi charmante que tu sembles l'être lui envoie-je mielleusement.

Je comprends que ma riposte lui plaît en voyant son sourire s'élargir. Ce n'est pas vraiment la réaction que j'escomptais. J'en suis presque déçue.

- Finalement, cette soirée n'est pas si ennuyeuse qu'il n'y paraît ~ lance Hisoka avant de retourner à l'intérieur de la maison.

Une fois seule, je pousse un gros soupir de soulagement. Notre petite joute verbale m'a légèrement amusée, mais quelque chose me dit qu'il faudra me tenir loin de lui à l'avenir.

Je profite une dernière fois de la vue sur la ville endormie puis, sentant que la fatigue me gagne de plus en plus, je décide de rentrer à mon tour.

Une fois à l'intérieur, je constate que les invités sont tous partis. J'avoue être soulagée de ne pas recroiser le regard d'Hisoka. Aujourd'hui j'ai été trop de fois dans des situations malaisantes à mon goût.

Après avoir embrassée tendrement Grand-mère - cette dernière semble m'avoir pardonnée pour mon retard puisqu'elle me sourie chaleureusement -, je retrouve Grand-père et Lekha dans le salon. Grand-père fume sa pipe dans son fauteuil tandis que mon frère s'étire de tout son long en baillant.

- Je vais me coucher, je suis morte de fatigue. Bonne nuit tous les deux leur adressé-je conjointement.

- Attends Keya fait Grand-père. Le conseil se réunira demain après-midi en présence des humains. Nous devons savoir pourquoi ils ont débarqués sur le continent et comment cohabiter avec eux le temps où ils resteront parmi nous. En tant que membre du conseil, ta présence est requise.

- Pourquoi ne pas avoir profité de cette soirée pour clarifier ces points avec eux ? je lui demande.

- Nous les avons invités en signe d'hospitalité. Ce n'était pas le moment pour les assommer de questions explique-t-il avant de remettre sa pipe à la bouche.

- Très bien, tu peux compter sur ma présence je soupire.

- Et à l'heure ! lance Grand-mère depuis la pièce voisine. Sa remarque provoque immédiatement un fou rire général dans la pièce. Cela faisait longtemps que je n'avais pas autant ri et j'avoue que cela fait du bien.

Avant que je puisse quitter la pièce, Lekha fond sur moi et m'enlace tendrement avant de déposer un baiser sur mon front. Apparemment me voir rire l'a tout autant ravi que moi.

À peine couchée, le sommeil m'emporte rapidement. J'émerge le lendemain en milieu de matinée.

Grand-père et Lekha ont déjà quitté la maison, ils sont sans doute auprès des humains. Après un rapide petit déjeuner, je rejoins Grand-mère qui est en train de coudre dans le salon.

- Bonjour ma chérie ! dit-elle en continuant sa couture.

- Bonjour Grand-mère. Sur quoi tu travailles ? je lui demande.

- Sur ta robe pour Arad Rîn fait-elle en gardant le nez sur son ouvrage.

Arad Rîn ou le jour du souvenir. Je n'ai pas assisté à cette fête dédiée à la mémoire de nos défunts depuis la mort de nos parents. L'année dernière, j'avais le cœur trop lourd pour cette célébration qui est pourtant joyeuse. J'étais restée seule à la maison, prostrée dans mon lit.

- Grand-mère ...... soufflé-je d'une voix presque inaudible.

Je n'ai pas besoin d'ajouter quoi que ce soit, elle comprend de suite que j'ai à nouveau l'intention de manquer la fête.

- Keya, nous comprenons que ce fut dur pour toi l'année dernière. Mais cela fait un an que vos parents et Hari sont morts.

Des frissons me parcourent l'échine à l'évocation du dernier prénom. Grand-mère le perçoit et en profite pour laisser sa couture et venir placer sa main sous mon menton.

- Fais-moi confiance, cela te fera le plus grand bien. Il est temps de laisser la colère et le chagrin derrière toi et débuter une nouvelle page de ta vie.

Les belles paroles de Grand-mère font naître un sourire timide sur mes lèvres. Je jette un coup d'œil sur la robe qu'elle est en train de confectionner. Ma curiosité ne lui échappe pas. Elle s'empresse aussitôt d'aller la chercher et me la présenter.

La robe allie parfaitement un rose poudré délicat et un vert forêt de caractère. Des branches cousues au fil doré accompagnées de quelques feuilles décorent son dos.

- Elle est magnifique dis-je en lui tendant la robe. Comme toujours tu t'es surpassée.

- Elle sera encore plus magnifique une fois sur toi ! précise-t-elle en se rasseyant et poursuivant son travail. Fais-moi plaisir en allant me chercher du fil doré. Je vais bientôt en manquer.

- Bien sûr Grand-mère répondis-je en lui adressant un sourire affectueux.

Après avoir récupéré une bourse remplie de pièces afin de pouvoir payer le fil demandé, je quitte la maison et me dirige vers le forum de la cité.

En chemin, je me demande si cette journée sera aussi folle que la précédente.

Double je(u)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant