Chapitre 14 / Invisible

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Qu'avait-elle réellement espéré au fond ? Qu'il la découvre ? Non ! Bien sûr que non ! Lupita ne voulait surtout pas perdre son job. Mais alors, quoi ?? Et bien, cette histoire prouvait également qu'elle était finalement assez commune comme fille. Rien de vraiment remarquable. Paradoxe de la jeune femme qui cherche à devenir invisible, mais voudrait aussi qu'on la remarque.

Depuis Jérémy, Lupita n'avait pas vraiment eu de mec dans sa vie. Elle avait évité l'écueil, se focalisant sur sa vie professionnelle, qui était déjà suffisamment chaotique pour lui occuper l'esprit. Cependant, elle ne pouvait éviter de se sentir seule certains soirs. Elle aurait voulu que son cœur s'affole de nouveau et que son corps jouisse d'un autre corps. Elle ne rêvait pas d'une folle passion, mais d'un amour sans écueil. Rien d'incroyable. Juste une sincère et longue étreinte. Rien à voir avec ce que vivaient ses amies assez régulièrement.

Parce qu'Emmanuelle ne concevait l'amour qu'à travers de complexes circonvolutions amenant bien trop souvent à la tragédie, et qu'Aïko était beaucoup trop exigeante, aucune de leurs aventures n'avait encore abouti à quelque chose de concret, de solide. Mais ça viendrait. Ça viendrait fatalement. Et elle, Lupita, que lui resterait-il ? Une amitié tronquée par l'amour des autres.

Lupita soupira. Il faudrait qu'elle rencontre quelqu'un. Elle ne savait même pas ce qu'elle cherchait chez un homme. Elle ne pouvait quand même pas se conformer à ce qu'elle aimait lire ou voir. Elle aurait bonne mine à rechercher un héros dans les hommes aux alentours ?! Ça n'existaient pas les héros. Ça, elle le savait déjà. Un type bien, ça serait déjà pas mal. Mais c'était quoi un type bien ? Elle l'ignorait.

Elle ne sortait peut-être pas assez, comme le disait Emmanuelle ? C'est vrai qu'elle connaissait plus de personnes virtuelles que de personnes « IRL ». Maintenant qu'elle travaillait à Anthéa, cela risquait de changer. Pour le moment, elle ne s'était pas mélangée aux autres employés à la cafet', mais ça viendrait peut-être, quand elle aurait suffisamment cerné ses collègues.

La jeune femme jeta un œil aux hommes de l'équipe du pôle informatique. De « jeunes hommes en pleine floraison » disait Aiko. N'importe quoi ! Lupita les voyait comme des forces sur lesquelles s'appuyer ou des faiblesses à suppléer.

Une semaine auparavant, alors qu'elle mangeait avec Iris, cette dernière s'était amusée à chercher lequel de leurs collègues pouvait bien nourrir plus que de l'amitié pour elle. Parce qu'il lui paraissait évident que, parmi les sept hommes, il devait bien y en avoir un d'amoureux, ou qui pensait l'être. Elle avait cherché à voir des signes.

Lupita, qui ne se considérait pas suffisamment jolie pour susciter une passion secrète, ne réfléchissait pas en ces termes. Elle procédait par élimination. Éric Vivier, le chef d'équipe, semblait heureux en couple et avait des enfants. Même avec son physique plutôt avantageux, il était hors course. Lupita ne se voyait vraiment pas dans le rôle de la briseuse de couple.

Les six autres étaient célibataires ou prétendaient l'être. Toutefois, par déduction, elle savait que Steve, grand et massif, à la peau aussi sombre que ses yeux, avait une amoureuse en ligne (il passait beaucoup de temps sur un chat privé durant ses heures de pause). Thomas, petit blond un peu enrobé, et Arig, un beau brun au visage d'ange, avaient eu des rendez-vous récemment (ils s'étaient faits beaux plusieurs fois au cours des dernières semaines). Restait Klaus, Kevin et Joshua.

Ces trois-là étaient plus difficiles à cerner. Joshua, pâlichon grand brun aux boucles folles, était gentil et prévenant. Il venait en vélo et prêtait parfois son porte-bagages à un jeune homme qui travaillait dans l'immeuble voisin du leur. Probablement homo donc, même s'il n'en parlait pas.

Kevin, grand tige renfrognée, châtain aux yeux verts, ancien champion d'e-sport, ne vivait que pour la compétition. Il ne s'intéressait qu'aux records et au Speedrun. Ce qui faisait dire à Leia qu'il avait, sans doute, un petit côté psychopathe.

Mais lequel d'entre eux n'en avait pas, sincèrement ? Et cela incluait les membres féminin. Parce qu'Iris, petite brunette aux yeux noisette, faisait parfois peur quand elle commençait à parler de bilan comptable et utilisait des termes que même Leia, pourtant en couple avec un comptable, ne comprenait pas. Cette dernière n'était pas en reste, d'ailleurs. Elle était franchement flippante quand elle évaluait les possibilités de conflits dans des pays, dont Lupita n'aurait pas su épeler le nom, ni même parfois le prononcer.

Lupita elle-même savait qu'elle perdait la moitié de son auditoire quand elle commençait à approfondir avec passion les moyens qu'elle utilisait pour pourchasser les intrusion. Seul Klaus ne se perdait pas en chemin.

Klaus qui était un mystère, car Klaus, était un colosse chevelu et barbu qui parlait peu. Il était aussi le plus vieux de l'équipe, 36 ans. Lupita savait qu'il passait beaucoup de temps sur le réseau, même en dehors du travail. Avec son physique d'ogre russe, elle lui imaginait mille vies, toutes plus fantasques les unes que les autres : espion, justicier, voire tueur en série. Bref, une chose était sûre, il ne s'intéressait pas aux filles de son équipe. Il était trop occupé par la vie auréolée de mystère qu'elle lui prêtait.

Leia, longue brindille aux cheveux noir de geai et aux traits asiatiques (alors que ses deux parents biologiques étaient châtain clair et typé européen de base. Ce qui lui faisait dire parfois qu'elle avait été enlevée à sa vraie famille. Vous l'aurez compris, Leia avait une imagination foisonnante elle-aussi, ou pas, qui sait ?), avait déjà trouvé son âme sœur.

Alors, à moins qu'Iris ne soit elle-même amoureuse de l'un d'entre eux, Lupita en concluait qu'aucun membre de cette équipe ne nourrissait de sentiment aigu pour un autre membre, car elle-même ne fantasmait sur aucun collègue.

Lupita soupira et se concentra sur son travail. Voilà une chose qui ne la décevait jamais, et ne l'enquiquinait jamais non plus. Les relations humaines étaient trop compliquées parfois, c'est pourquoi Lupita préférait bien (trop) souvent se réfugier dans son monde virtuel. Au moins, là, pas de surprises qui la mettaient mal à l'aise. Les bonnes surprises la rendaient enthousiastes, et les mauvaises, elle les traquait sans peur jusqu'au fin fond les plus obscurs du réseau.


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