SIGNES

9. Poisson et choucroute

Les chaises raclaient le sol et les élèves sortaient de la classe comme un torrent tumultueux. Il ne resta bientôt plus que Roger et sa cour personnelle, il était constamment entouré par une dizaine de filles qu’il pouvait disperser d’un claquement de doigt. C’était une capacité attribuée aux meilleurs des meilleurs et il était au-dessus de ça.

“Au plaisir, mademoiselle Murawski.” salua ce dernier en s’inclinant devant la prof de sciences juste ce qu'il faut pour ne pas plonger dans le ridicule.

"C'était du très bon travail, je suis fière de mes élèv…" elle s'arrêta car les autres étaient parti. "Enfin, disons de toi."

"Voyons, ne soyez pas si sévère, je suis persuadé que mes camarades ont la réponse sur le bout de la langue." Roger s'arrêta devant le tableau noir, il ne restait plus qu'un petit bout du cours écrit à la craie blanche : HN03 et il esquissa un sourire avant de rajouter. "Ils feraient cependant mieux de ne pas garder ça en bouche trop longtemps, c'est de l'acide nitrique tout de même."

"Excellent, Roger Doofenshmirtz.”

“Doof l’idiot !” s’écria Hans en claquant ses deux mains gigantesques l’une contre l’autre.

Roger se tendit, mal à l’aise. Il renvoya les filles d’un claquement de doigts effectua une dernière courbette de politesse avant de saisir ses deux meilleurs amis par les épaules afin de les tirer dehors… comme il ignorait où ceci allait l’amener, il se dégagea de la cour principale pour s’isoler vers les casiers où personne d’important ne risquait de passer. Au pire, une oreille indiscrète pouvait les surprendre mais quand il s’agit de harcèlement scolaire, Perry n’est plus du tout une minorité sourde.

“Comment est-ce que tu m’as appelé ?” siffla-t-il, sa voix était terrifiante mais son visage restait barré d’un large sourire peu importe les circonstances, une forme de politesse terrifiante.

“Mais pas TOI, voyons, l’autre ! C’est amusant parce que Doof, en anglais, ça veut dire l’idiot.”

“Et en allemand, aussi.” confirma Boris.

Les deux acolytes s’étouffèrent dans leur fou rire et Roger se demanda si c’était LUI ou si ses amis étaient vraiment très bêtes… ça ne pouvait pas être que lui, enfin !

“Est-ce que vous êtes conscients que je m’appelle Doofenshmirtz ou vous le faites exprès ?”

“Nan, c’est pas pareil, toi t’es comme nous… toi t’es notre copain !”

“Charmé.”

Roger Doofenshmirtz était un expert pour dire quelque chose tout en signifiant l’opposé… rudement pratique dans le jeu de la manipulation, nettement moins quand on s’entoure de benêts. Au moins, ça soulageait suffisamment ses nerfs pour passer à autre chose, notamment la stratégie qu’il dessinait depuis plusieurs semaines. Tout se met en place aisément pour qui sait patienter.

“Allons manger, Grulinda nous a gardé une place dans la file d’attente.”

Ce n’était pas vrai, il n’avait plus adressé la parole à cette fille depuis qu’elle l’avait mis en garde contre Perry. Harceler son frère, handicapé sans que personne ne le remarque, oui. Harceler son camarade, handicapé aux yeux de tous, non. La vie était régie par des règles absurdes, il s’en serait bien passé mais c’était aussi ça qui rendait le jeu de la politique aussi fascinant. Comme il ne pouvait pas s’attaquer à Perry et qu’il ne pouvait pas séparer les garçons pour une raison qui commençait à l’énerver… il allait justement se servir du handicap qui l’embêtait tant pour agacer son frère sans que le sourd s’en aperçoive. En vérité, c’était basique mais rudement malin.