Chapitre 22 / Préparer sa revanche

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Le temps de ce dimanche était maussade et donnait envie de rien faire. Lupita se réveilla tardivement. Pop-corn, couché sur ses jambes, frétillait de la queue avec espoir. Il voulait sortir, et sans doute depuis un moment. Il la fixait avec un air suppliant contre lequel il était vain de lutter. Ce chien était un saint. Elle se devait d'être à la hauteur de tant d'abnégation et d'amour. Elle enfila ses vêtements de la veille et sortit son chien pour une longue promenade.

Lorsqu'elle rentra enfin, trois quart d'heure plus tard, trempée par une pluie qui s'était abattue perfidement à un moment où ils étaient trop loin pour envisager un retour sans dommage, elle jeta un œil morne à l'aspirateur qui attendait sagement qu'elle daigne enfin lui accorder un peu d'attention. Mais un objet aussi joli fut-il, ne pouvait se targuer d'être aussi attendrissant que Pop-corn. Elle abandonna donc l'idée à peine apparue, de faire le ménage dans son appartement. Elle essuya juste le chien, et mit ses vêtements à sécher sur les dossiers de chaises de la cuisine.

En culotte et tee-shirt, elle versa des corn-flakes dans un bol, s'aperçut qu'il ne restait ni lait, ni sucre, jura, s'installa à son bureau et craquouillant ses céréales frelatées, et ouvrit le portable qu'elle avait récupéré chez sa mère. Après les émotions fortes de la veille au soir, Lupita estimait avoir mérité de ne rien faire de productif en ce jour.

***

C'était bien elle. Lupita Jones. Quel drôle de nom ! On aurait dit celui d'un personnage de fiction. Genre Marvel ou autre. Enfin, pour sa part, il n'avait probablement rien à dire, puisque tous les prénoms de sa fratrie venaient directement de personnages de l'antiquité. L'influence de Deimos qui voulait remettre un peu de Grèce dans la famille définitivement Ryker de sa fille.

Darius chercha sur un moteur de recherche, et tomba sur des infos concernant une miss Univers – rien de moins – des années 90. Définitivement pas la sienne, même si la cheerleader n'était pas moche. Pas de profil sur les réseaux sociaux les plus connus. Il se mit à explorer le dossier de son employée. Une enquête avait été faite sur ses relations et sa situation financière. Les premiers étaient sans grand intérêts, et la seconde n'était pas brillante. Dossier très mince, mais dont un seul détail le fit bondir. Elle travaillait pour le pôle informatique.

Nom de dieu ! Maintenant, il savait ! L'informaticienne masquée ! L'informaticienne dont le parfum lui rappelait quelque chose ! Elle s'était bien fichue de lui ! Son soupçon concernant la relation de la jeune femme et Deimos se confirma aussitôt. Elle avait besoin d'argent. Lui avait besoin d'informations. Un marché des plus simples.

Elle devait le surveiller en douce ! Et lui qui lui avait donné la main sur son PC avec son pote, l'ogre russe ! Il était furieux de s'être fait berner de cette manière. Elle n'avait été embauchée qu'un mois auparavant ! Bien ! Elle allait éjecter aussi rapidement qu'elle était arrivée !

Darius se rassit dans son fauteuil sans trop savoir ce qu'il allait faire, mais avec l'envie folle de se venger. Le stress de ces derniers jours, la pression exercée par Deimos, l'éventualité de se retrouver rapidement marier à une inconnue, tout ce maelstrom émotionnel et professionnel se déversa dans cette envie sourde de vengeance.

Si Jung avait été là, il lui aurait fait remarquer que son envie était équivalente à dézinguer une pâquerette à coup de bazooka, mais il n'était pas là. Darius cherchait donc une manière d'accomplir sa vengeance de la manière la plus satisfaisante possible, quand une idée lui vint.

La jeune femme s'était masquée pour qu'il ne la reconnaisse pas. La veille, elle avait fui de peur de se faire surprendre. Sans doute écoutait-elle à la porte. Lupita Jones craignait d'être découverte ! Elle n'était pas douée, mais il allait lui faire croire qu'il était dupe et la faire tourner en bourrique avant de la démasquer et de la virer. Oui. Il allait s'amuser un peu. Il regarda le deck que lui avait fourni le pôle informatique.

***

Casque sur les oreilles, Lupita jouait en ligne avec plusieurs potes depuis un bon moment. Son vieux PC tenait le coup, même s'il était poussif et parfois lui faisait des surprises : genre s'éteindre parce qu'il surchauffait. Pour le moment, il turbinait comme jamais.

La main gauche et la main droite de Lupita agissaient rapidement sur le clavier pour éliminer le boss que son équipe avait attaqué plus de dix minutes auparavant. Ils allaient enfin parvenir à leurs fins, quand le téléphone portable de Lupita sonna.

— Pas le moment ! Pas le moment ! Pas le moment ! dit la jeune femme, oubliant que son micro était ouvert.

— Qu'est-ce que tu dis ?

— Rien, Aurel, j'ai un appel sur le portable.

— Tu nous plantes pas comme l'autre fois, Sabotender ! Hein !

— Je fais ce que je peux, Aurel ! Et si c'est mon nouveau boulot qui appelle pour que je rapplique, j'aime autant te dire que je vais y aller. Parce l'autre fois, je te signale que mon PC a grillé ! Je joue sur une antiquité parce que je n'ai pas la thune pour changer les pièces de l'autre !

— Ok ! Ok ! T'énerves pas ! C'est ton boulot ?

— Je sais pas encore ! Je finis de buter cette saloperie de boss avec toi, pour le moment !

— Hé, les tourtereaux ! Je vous signale qu'il y a une brèche à gauche ! dit Jesussenfout.

— Où est Tyron ?

— Je suis sur l'autre flanc ! C'est Okgogole qui nous manque !

— Il est passé où ce con ?!

— On s'en fous ! Faut taillader à gauche !

Les joueurs se coordonnèrent pour achever le boss alors que le téléphone de Lupita se remettait à sonner.

— Yesss ! On l'a eu ! s'écria-t-elle à l'image de ses potes qui riaient dans son casque.

Elle attrapa son portable et vit qu'il s'agissait du boulot. Elle envoya aussitôt un message pour avertir qu'elle arrivait.

— Déso, les mecs ! Je vais devoir y aller, les gars.

—OK, Sabotender. À la prochaine !


Aller au boulot un dimanche n'était pas vraiment une nouveauté pour Lupita. Son contrat prévoyait des week-ends d'astreinte. Mais en plus, il pouvait arriver d'être appelé en renfort. En fait, dès le premier week-end après son embauche, elle avait dû rappliquer fissa. Les hackers respectaient rarement la notion de jours ouvrables et de week-end pénard.

Bien qu'elle sache que ce genre de situation puisse arriver, elle ne s'était pas vraiment préparée. Elle avait bien pris une douche vite fait, mais ses cheveux faisaient ce qu'ils faisaient le mieux en général : n'importe quoi. Elle avait dû les discipliner en faisant un chignon plus ou moins réussi et tenu par un simple élastique. Tant pis. Éric Vivier ne pouvait reprocher leur tenue, à des employés qu'il faisait revenir un dimanche.

C'est donc envieux jean, tee-shirt, hoddie flashy - mais pas celui de la veille. Celui-là, elle l'avait mis au fond de la corbeille à linge -, et lunettes sur le nez – elle n'allait quand même pas oublier son accessoire de Clark Kent, d'autant plus qu'elle n'avait pas les yeux complètement en face des trous, qu'elle arriva devant l'édifice d'Anthéa Inc.

Elle salua le gars de la sécurité qui surveillait le hall, passa les tourniquets et s'engouffra dans l'ascenseur sans se préoccuper de rien, sinon de l'écran de son portable, sur lequel elle suivait une vidéo concernant un jeu, en riant sous cape des commentaires d'un streameur qu'elle écoutait d'une oreille seulement.

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