Chapitre 3-4

0 0 0
                                    

Le duo d'adolescents s'était retrouvé vers ce banc, le soleil veillant sur eux. Le dessinateur, assis, gribouillait une esquisse, un profil de son imagination tandis que le photographe prenait divers clichés de la nature. Ils avaient un devoir en cours d'art : décrire l'environnement. Ils avaient le choix libre pour le support. C'est pourquoi ils se retrouvaient dans ce lieu, loin de l'urbanisme genevois et proche de la campagne vaudoise. Rory prenait une pause dans son dessin afin d'analyser son travail. On découvrait sous ses courbes une femme aux attribues similaires au bois. Des fleurs bourgeonnaient sur sa peau, tandis que des feuilles rouges remplaçaient sa chevelure rousse. Dans un soupir, le brun soulevait sa casquette avant de se poser sur le banc. Il regardait à son tour ses photos, mais rien ne semblait le satisfaire. Cela arracha un sourire à Rory, digne d'une moquerie.

« Un problème ?

- S'il n'y en avait qu'un, se hâta-t-il. »

Cette fois-ci, il rit. Rire qui se transforma en un gémissement de douleur, le poing de Luke frappant l'épaule du plus petit. À son tour, le plus grand sourit à la grimace de son camarade. Cela les mena à une petite chamaillerie qui se solda par une joute verbale. L'imagination pouvait faire défaut, mais quand il s'agissait d'insultes, rien ne les arrêtait. Puis, tout cela se finit par une accalmie, comblée par des rires unis. Enfin, ils reprirent leur conversation là où il l'avait laissée.

« Non, c'est juste que... j'sais pas, j'aime pas c'que j'fais actuellement. »

Problèmes d'artistes. Rory connaissait ça, aussi. Combien de fois les périodes sans inspiration s'étaient heurtées à sa réalité ? Les traits de son crayon n'enfantaient que des silhouettes et des paysages sans vie, son souffle perdu dans ses précédentes créations qui lui paraissaient meilleures. Il avait tendance à prendre une pause, dans ces moments-là. Se ressourcer, poser sa gomme et profiter du monde qui fourmillait de personnes et de paysages qui serviraient de patrons lorsque l'envie le reprendrait.

Mais pour Luke, il s'agissait d'une source d'angoisse. Il ne savait pas s'arrêter. Alors, il opta pour des myriades de photos imparfaites plutôt qu'une seule qui l'aurait satisfait, toujours dans l'espoir de retrouver ce talent qu'il croyait perdu. Rory le rassura, trouvant des qualités cachées dans ses œuvres, ses collections de polaroid. Habitué, il n'en restait pas moins impressionné à chaque cliché qu'il lui présentait. Quand bien même le créateur affirmait leur médiocrité, il ne pouvait s'empêcher de le complimenter, de l'aider à voir ses photos sous un nouvel angle. Mais il ne s'agissait pas de son seul souci. Rory pressentait qu'il y avait plus qu'un unique manque d'inspiration. Il rebondirait de toute façon, trouvant le paysage ou la personne parfaite qui relancerait son instinct créatif. Non, ce n'était pas ça le problème. Son ami avait les mains tremblantes. Son regard balaya l'ensemble du lieu, à la recherche d'un point où se focaliser. Son pied tressautait contre le sol boueux. Une idée vint à l'esprit de Rory. Une idée qui expliquerait pourquoi son camarade agissait de la sorte.

« T'es stressé par le devoir ? » osa-t-il.

Son ami secoua sa tête légère, comme pour sortir de ses songes, puis, il la hocha, ce qui confirma les pensées du blond.

« Ça me fout les boules, parce que j'ai peur de pas être bon, déclara-t-il, genre j'ai eu une mauvaise note en maths tout à l'heure, alors que je pensais avoir bien réussi.

- En même temps, ç'a jamais été ton point fort, tenta le plus petit.

- Ta gueule. »

Cash. Mais cela avait le mérite de lui soutirer un sourire. Tentative réussie ! Luke poursuivit pourtant sur ses inquiétudes. Il n'y avait pas que les maths où il péchait. L'allemand lui grapillait des notes en-dessous de la moyenne, de par son manque de vocabulaire notable et de sa grammaire approximative – en même temps, ils avaient le même professeur à la pédagogie douteuse qui improvisait ses cours plutôt que de les donner, ce qui expliquait leurs notes peu satisfaisantes. Puis l'anglais posait problème. Rory ne connaissait pas cette langue, s'adonnant au latin à la place. Luke n'avait jamais été bon avec les langues, s'il devait être honnête. La seule matière qui donnait de l'espoir à ses professeurs restait le français.

Il adorait disserter, étudier les livres qu'on lui donnait. La lecture ne semblait pas lui demander de l'énergie, puisqu'il y plongeait avec entrain. Son attention s'attardait sur des détails, des manières d'écrire, des descriptions atypiques qui servaient de soutiens et d'arguments dans ses travaux. Mais, bien qu'il y excellât, cela ne rattrapait pas l'écart que lui laissait les trois autres matières principales. Désormais, avec ses premiers résultats, il vivait dans la constante peur de ne pas passer l'année. On y était certes qu'au début, et les semestrielles ne se pointeraient que dans cinq semaines, et d'autres évaluations les précéderaient, mais il ne pouvait s'empêcher de prévoir cette période d'examen.

« T'sais, j'suis là pour t'aider si jamais » rappela le dessinateur.

Luke opina du chef. Mais il ne se permettait pas de s'appuyer sur ses camarades. Il avait l'habitude de travailler dans son coin, seul, au centre de documentation s'il le fallait. Donc, bousculer cette habitude le bouleverserait plus que s'il ne faisait rien. Un répétiteur ? Il y avait pensé, mais ses maigres économies l'empêchait d'y avoir accès. Alors, il préféra la solitude et essaya de réparer ses bases. Mais Rory refusait de le laisser comme ça. Une idée germa dans son esprit. Peut-être que le problème venait de là. S'il pouvait remédier à cette solitude, peut-être que leurs notes s'amélioreraient.

« T'sais quoi, viens on va bosser ensemble, avec le groupe »

Luke paraissait surpris par sa demande, Rory poursuivit.

« C'est vrai quoi, on a tous nos matières de cœur, toi c'est le français, moi les maths. Alice aura surement quelques informations cruciales en histoire à partager, Rayenne dans les langues, puis Victor...c'est Victor, il en branlera surement pas une. »

À cette dernière remarque, Luke rit, son appareil photo sur sa jambe. Rory glissa sa langue entre ses dents, tout sourire, un tic du visage qu'il avait acquis depuis peu.

« Bah on peut tester, ouais » répondit le brun en remettant sa casquette à l'envers.

Il regarda au-dessus de lui, les lueurs du soleil se faufilant entre les feuilles. Le dos contre le banc, il empoigna son appareil, avant d'appuyer sur un bouton, le brun, d'un flash, interrompant le silence. Puis il se leva, essuyant la boue de ses chaussures contre les pieds de ce qui leur servait de siège. Il proposa de rentrer, ce que Rory accepta. Ils repartirent de la forêt, la tête reposée, le visage rasséréné.

Carnet d'un ami disparuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant